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dissolution des religions.

plus que par le travail ; l’avare, au contraire, hésitera, préférera l’effort au jeu, et son effort sera plus profitable pour la société. En somme, ce qui seul pourrait maintenir une société en bon état, ce serait l’amour du travail pour le travail, qu’il est si rare de rencontrer et qu’il faudrait travailler à développer ; mais cet amour du travail intellectuel et matériel n’est pas lié à la religion : il est lié à une certaine culture générale de l’esprit et du cœur qui rend l’oisiveté impossible à supporter. De même pour les autres vertus morales et sociales qu’on nous représente comme inséparables de la religion. En tout temps il a fallu à l’humanité une certaine moyenne de vices comme de vertus ; les religions mêmes ont toujours dû se ployer devant les habitudes ou les passions. Si nous vivions au temps de la Réforme, nous verrions des prêtres catholiques soutenir le plus sérieusement du monde que, sans les dogmes catholiques et l’autorité du pape, la société se dissoudrait et périrait. Heureusement l’expérience a prouvé que la vie sociale pouvait se passer de ces dogmes et de cette autorité ; les consciences n’ont plus besoin d’un gardien et se gardent elles-mêmes. Un jour viendra, sans doute, où un Français ne se sentira pas plus le désir d’entrer dans une maison de pierre pour invoquer Dieu au son des cantiques qu’un Anglais ou un Allemand n’éprouve dès aujourd’hui le besoin de s’agenouiller devant un prêtre qui tend l’oreille.


III. — LE PROTESTANTISME EST-IL UNE TRANSITION NÉCESSAIRE POUR LES PEUPLES ENTRE LA RELIGION ET LA LIBRE PENSÉE ?


Outre les libres-penseurs proprement dits, il existe dans tout pays une classe d’hommes qui, tout en comprenant les défauts de la religion en honneur autour d’eux, n’ont cependant pas la force d’esprit nécessaire pour s’élever au-dessus de tout dogme révélé, de tout culte extérieur et de tout rite. Alors ils se prennent à envier la religion des peuples voisins. Celle-ci a toujours un avantage, c’est qu’on la voit de loin : à cette distance on ne distingue guère ses défauts, on la dote au contraire par l’imagination de toutes les qualités possibles. Que de