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dissolution des religions.

laire, « comme elle vient, » avec un bon sourire d’enfant qui s’éveille et qui regarde, — sans autre souci que de se posséder soi-même en tout événement, pour posséder les choses.


III. — La morale et le culte sont inséparables dans toutes les religions, et l’acte essentiel du culte intérieur, le rite fondamental commandé par la morale religieuse, c’est la prière.

Analyser tous les sentiments qui entrent en jeu dans la prière serait chose très complexe. La prière peut être l’accomplissement presque mécanique du rite, le marmottement de paroles vaines : à ce titre elle est méprisable, même au point de vue religieux. Elle peut être une demande égoïste, et sous cet aspect elle reste mesquine. Elle peut être un acte de foi naïve en des croyances plus ou moins populaires et irrationnelles ; à ce compte elle n’a encore qu’une valeur négligeable. Mais elle peut être aussi l’élan désintéressé d’une âme qui croit servir autrui en quelque façon, agir sur le monde par l’explosion de sa foi, faire un don, une offrande, dévouer quelque chose de soi-même à autrui. Là est la grandeur de la prière : elle n’est plus alors qu’une des formes sous lesquelles s’exerce la charité et l’amour des hommes. Mais enfin, s’il vient à être démontré que cette forme particulière de l’action charitable est illusoire, croit-on que la charité même, en son principe, sera par là atteinte et diminuée ?

On a apporté en faveur de la prière bien des arguments, dont la plupart sont tout extérieurs et trop superficiels. — La prière, dit-on d’abord, comme demande à une providence spéciale, est souverainement « consolante ; » elle est une des plus douces satisfactions de la foi religieuse. Une personne convertie à la libre-pensée me disait dernièrement : « Je ne regrette qu’une chose dans mes croyances d’autrefois, c’est de ne plus pouvoir prier pour vous et mimaginer que je vous sers. » — Assurément il est triste de perdre une croyance qui vous consolait ; mais supposez quelqu’un qui aurait cru posséder la baguette des fées entre ses mains et pouvoir sauver le monde : un matin on le détrompe, il se retrouve seul, avec la seule force de ses dix doigts et de son cerveau ; il ne peut pas ne pas regretter sa puissance imaginaire, il travaillera cependant à en acqué-