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introduction.

III. — Il est essentiel de ne pas se méprendre sur cette irréligion de l’avenir que nous avons voulu opposer à tant de travaux récents sur la religion de l’avenir. Il nous a semblé que ces divers travaux reposaient sur plusieurs équivoques. D’abord, on y confond la religion proprement dite tantôt avec la métaphysique, tantôt avec la morale, tantôt avec les deux réunies, et c’est grâce à cette confusion qu’on soutient la pérennité nécessaire de la religion. N’est-ce pas par un abus de langage que M. Spencer, par exemple, donne le nom de religion à toute spéculation sur l’inconnaissable, d’où il lui est facile de déduire l’éternelle durée de la religion, ainsi confondue avec la métaphysique ? De même, beaucoup de philosophes contemporains, comme M. de Hartmann, le théologien de l’Inconscient, n’ont point résisté à la tentation de nous décrire une religion de l’avenir,


    changer de plus en plus la force mécanique en justice, et la lutte pour la vie en fraternité. S’il en était ainsi, la puissance essentielle et immanente à tous les êtres, toujours prête à se dégager dès que les circonstances lui donnent accès à la lumière de la conscience, pourrait s’exprimer par ce seul mot : sociabilité. » (Alfred Fouillée, La Science sociale contemporaine, 2e édition, introduction et conclusion). M. Fouillée n’a pas fait à la religion l’application de cette théorie, dont il a seulement montré la fécondité métaphysique et morale ; nous croyons et nous montrerons qu’elle n’est pas moins féconde au point de vue religieux.

    Notre livre était terminé et en partie imprimé quand ont paru dans la Revue philosophique d’intéressants articles de M. Lesbazeilles sur les bases psychologiques de la religion. Quoique l’auteur se soit placé surtout, comme l’indique le titre même, au point de vue psychologique, il s’est occupé aussi des relations sociales et des « conditions de l’adaptation collective » comme préfigurées, anticipées, sanctifiées par les mythes et rites religieux. C’est là, croyons-nous, confondre trop la religion avec la morale : la morale porte en effet sur les conditions de la vie collective humaine, mais la religion porte encore sur la vie collective universelle, où elle cherche tout à la fois une explication physique et métaphysique des choses. Nous verrons qu’à leur début les religions n’ont été qu’une physique superstitieuse dans laquelle les forces étaient remplacées par des volontés, et qui prenait ainsi une forme sociologique.