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dissolution de la foi symbolique.

« Ithuriel, dit M. Arnold, a frappé de sa lance le miracle ; » du même coup n’a-t-il point frappé le symbole ? Nous aimons mieux voir la vérité toute pure qu’habillée de vêtements multicolores : la vêtir, c’est la dégrader. M. Arnold compare la foi trop entière à l’ivresse : nous le comparerons volontiers, lui, à Socrate, qui pouvait boire plus qu’aucun convive sans s’enivrer. Ne pas s’enivrer, c’était pour les Grecs une des prérogatives du sage : sous cette réserve, ils lui permettaient de boire ; de nos jours les sages tiennent peu à user de la permission ; ils admirent Socrate sans l’imiter, et trouvent que la sobriété est encore le plus sûr moyen de garder sa raison. Nous en dirons autant à M. Arnold. La Bible, avec ses scènes de massacre, de viol et de représailles divines, est selon lui la nourriture de l’esprit : « l’esprit ne peut s’en passer, pas plus que nous ne pouvons nous passer de manger ; » nous lui répondrons que, s’il faut l’en croire, c’est là une nourriture bien dangereuse, et qu’il vaut mieux parfois jeûner un peu que de s’empoisonner.

Du reste, si on persistait à chercher dans les livres sacrés des anciens âges l’expression de la moralité primitive, ce n’est pas dans la Bible, c’est plutôt dans les livres hindous qu’une interprétation « littéraire » ou philosophique trouverait la formule la plus extraordinaire du symbolisme moral. Le monde entier apparaît aux bouddhistes comme la mise en œuvre de la loi morale, puisque, selon eux, les êtres se classent eux-mêmes dans l’univers par leurs vertus ou leurs vices, montent ou descendent dans l’échelle de la vie selon qu’ils s’élèvent moralement ou se rabaissent. Le bouddhisme est, à certains égards, la moralité érigée en explication du monde.


Malgré les inconséquences partielles que nous avons signalées dans le symbolisme moral, une conclusion se dégage logiquement des livres que nous venons d’examiner et surtout du livre de M. Arnold, c’est que le fond le plus solide de toute religion est une morale plus ou moins imparfaite ; c’est que la morale fait la force du christianisme comme du bouddhisme et que, si on la supprime, il ne reste plus rien des deux grandes religions « universalistes » enfantées par l’intelligence humaine. La religion sert, pour ainsi dire, d’enveloppe à la morale ; elle en protège le développement et l’épanouissement final ; mais,