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la foi symbolique et morale.

saignant sous les épines, mais plutôt transfiguré et triomphant ; ils préféraient voiler ses souffrances. Des tableaux comme ceux qui ornent nos églises leur eussent fait horreur : leur foi encore jeune aurait été ébranlée par cette « image de la douleur sur du bois » qui causait à Gœthe une sorte de répulsion. Quand ils représentaient la croix, elle ne portait plus son dieu, et ils avaient soin d’en recouvrir le bois même de fleurs et d’ornements de toute sorte. C’est ce que nous montrent les figures naïves, les dessins et les sculptures trouvés dans les catacombes. Cacher une croix sous des fleurs, voilà la merveille réalisée par la religion. Quand on regarde les religions de ce point de vue, on ne dédaigne plus toutes les légendes qui constituent la matière de la foi populaire ; on les comprend, on les aime, on se sent envahi « d’une tendresse infinie » pour cette œuvre spontanée de la pensée en quête du bien, en attente de l’idéal, pour ces contes de fée de la moralité humaine, plus profonds et plus doux que les autres. Il fallait bien que la poésie religieuse préparât sur cette terre, longtemps d’avance, la venue du mystérieux idéal, embellit le lieu où il devait descendre, comme la mère de la belle au bois dormant, voyant s’alourdir pour un sommeil de cent ans les paupières de sa fille, plaçait avec confiance au pied du lit de l’endormie le coussin brodé où s’agenouillerait un jour le lointain amoureux qui devait la réveiller d’un baiser.

Comme nous sommes loin maintenant de l’interprétation servile des « prétendus savants, » qui se penchent sur les textes et perdent de vue la pensée générale et primitive ! Quand on veut voir l’ensemble d’un tableau, il ne faut pas s’approcher trop près, ou la perspective disparaît et toutes les couleurs se dégradent ; il faut se mettre à une certaine distance, dans un jour favorable : alors éclate l’unité de l’œuvre en même temps que la richesse des nuances. Ainsi devons-nous faire à l’égard des religions. Quand nous nous plaçons assez loin et assez haut, nous en venons à perdre toute prévention, toute hostilité à leur égard : leurs livres saints finissent même par mériter à nos yeux le nom de saints ; nous y retrouvons, dit M. Arnold, un « secret » providentiel qui est le « secret de Jésus. » Pourquoi, ajoute M. Arnold, ne pas reconnaître que la Bible est un livre inspiré, dicté par l’esprit divin ? Après tout, ce qui est spontané est toujours plus ou moins divin, providentiel ; ce qui jaillit des sources mêmes de la