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la foi symbolique et morale.

les voix de l’univers, et c’est au milieu du grand concert de la nature que nous pouvons saisir et distinguer le véritable Verbe. Tout est symbole, excepté Dieu, qui est l’éternelle vérité.

Et encore, pourquoi s’arrêter à Dieu ? La liberté de pensée qui sans cesse tourne le dogme et l’adapte à ses progrès peut faire encore un pas. La foi immuable est de plus en plus resserrée et enfermée dans un cercle mouvant qui se rétrécit sur elle ; il ne restait plus pour le protestant libéral qu’un point fixe où elle puisse s’attacher : ce dernier va s’ébranler. Pourquoi Dieu même ne serait-il point un symbole ? Qu’est-ce que cet être mystérieux, si ce n’est la personnification populaire du divin, ou même de l’humanité idéale, en un mot de la moralité ?

Ainsi au symbolisme métaphysique se substitue un symbolisme purement moral. On aboutit alors à la conception Kantienne d’une foi au devoir entraînant comme simple postulat, ou même comme simple représentation à l’usage de l’homme, la foi en un principe capable d’assurer l’accord final de la moralité et du bonheur. La foi morale ainsi entendue a été adoptée par beaucoup d’Allemands comme base de la foi religieuse. Les hégéliens ont fait de la religion une morale symbolique. Strauss définit la morale l’  « harmonisation » de l’homme avec son espèce, et la religion celle de l’homme avec l’univers ; cette définition, qui semble d’abord impliquer une différence de généralité et une certaine opposition entre la morale et la religion, a en réalité pour but de montrer leur unité : l’idéal de l’espèce se confond avec celui de l’univers, et si par hasard il s’en distinguait, ce serait l’idéal le plus universel que la morale nous ordonnerait de poursuiTe. M. de Hartmann, lui aussi, malgré ses tendances mystiques, conclut qu’il n’y a de religion possible que celle qui consacrera l’autonomie morale de l’individu, son salut par lui-même, non par autrui (l’autosotérisme, par opposition à l’hétérosotérisme). D’où il suit que, selon M. de Hartmann, la reconnaissance et l’adoration de la divinité doivent avoir pour principe le respect de ce qu’il y a en nous-mêmes d’essentiel et d’impersonnel ; en d’autres termes, la piété n’est qu’une des formes de la moralité et du renoncement absolu.

En France, on sait que M. Renouvier suit Kant et fonde la religion sur la foi morale. M. Renan, lui aussi, fait de la religion une morale idéaliste : « L’abnéga-