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dissolution de la foi dogmatique.

publique et malheureuse de certaines prophéties, comme celle qui touchait l’an mille. Depuis ce temps la religion dogmatique, pour ne pas se compromettre, s’est tenue à l’écart de tout oracle et de toute prophétie, préférant plus de sécurité à moins d’influence. Ainsi, par degrés, la religion autoritaire a renoncé à une des portions les plus importantes de la vie humaine, qu’elle prétendait autrefois connaître et régler : l’avenir. Elle se contente aujourd’hui du présent. Ses prédictions, de plus en plus vagues, ne portent plus que sur l’au-delà de la vie, et elle se contente de promettre le ciel à ses fidèles. Dans la religion catholique elle le leur assure même, en une certaine mesure, par l’absolution. Aussi peut-on voir dans le confessionnal un succédané de la divination d’autrefois. Le prêtre, de sa main, ouvre ou ferme les cieux au fidèle agenouillé dans l’ombre. C’est une puissance plus grande, à certains égards, que celle de la pythonisse fixant d’un mot le sort des batailles. Toutefois, la confession même a disparu dans les religions les plus fortes et les plus jeunes issues du christianisme. Dans le protestantisme orthodoxe, on est soi-même juge de son avenir et c’est notre seule conscience individuelle, avec toutes ses incertitudes, qui peut nous dire le mot de notre destinée. Par cette transformation, la foi dogmatique en la parole du prêtre ou du prophète tend à devenir une simple foi dans la voix de la conscience, qui elle-même va se mitigeant, s’atténuant par le doute. La croyance aux oracles et au doigt de la providence dsible dès ce monde devient simplement aujourd’hui la croyance, un peu hésitante, à « l’oracle intérieur » et à une providence toute transcendante : c’est un des points sur lesquels on peut considérer l’évolution religieuse comme déjà presque accomplie, l’individualisme religieux comme prêt à remplacer l’obéissance au prêtre, la négation du merveilleux comme substituée aux superstitions antiques.

La force de la croyance dans le Dieu personnel des religions fut de tout temps proportionnée à la force de la croyance au diable, et nous venons d’en voir un exemple dans Luther. En effet, ces deux genres de foi sont corrélatifs : ce sont les deux faces diverses d’un même anthropomorphisme. Or, de nos jours, la foi au diable va s’affaiblissant d’une façon incontestable ; cet affaiblissement est même très caractéristique ; il ne s’est jamais produit comme à notre époque. Il n’est pas de personne éclairée