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dissolution de la foi dogmatique.

lumière, un effet d’optique que la science corrige en l’expliquant.

L’instruction primaire, dont on se moque quelquefois aujourd’hui, est aussi une institution toute nouvelle dont il n’y avait guère trace autrefois, et qui modifie profondément tous les termes du problème social et religieux. Le simple bagage d’instruction élémentaire qu’emporte l’écolier moderne, surtout si on y ajoute quelques notions de l’histoire religieuse humaine, peut suffire à le mettre en garde contre bien des superstitions. Autrefois, le soldat romain embrassait successivement la religion de tous les pays où il campait longtemps ; revenu chez lui, il bâtissait un autel aux dieux lointains qu’il avait fait siens, Sabazius, Adonis, la déesse de Syrie ou la Bellone asiatique, le Jupiter de Baalbek ou celui de Dolica. Aujourd’hui, nos soldats et nos marins ne rapportent guère de leurs voyages qu’une tolérance incrédule, un sourire doucement irrespectueux à l’égard de tous les dieux.

Le perfectionnement des voies de communication est aussi un des grands obstacles au maintien des croyances dogmatiques : rien n’abrite la foi comme le creux profond d’une vallée ou les méandres d’un fleuve non navigable. Les derniers croyants des religions antiques furent les paysans, pagani ; d’où le nom de païens. Mais aujourd’hui les campagnes s’ouvrent, les montagnes se percent : la circulation toujours plus active des choses et des gens fait circuler les idées, nivelle la foi, et ce niveau ne peut aller qu’en s’abaissant au fur et à mesure des progrès de la science. De tout temps les peuples, en voyageant, ont vu s’altérer leurs croyances ; aujourd’hui cette altération se fait sur place : les horizons changent sans qu’on ait besoin de changer de lieu. Les Papin, les Watt, les Stephenson ont fait autant pour la propagation de la libre-pensée que les philosophes les plus hardis. De nos jours mêmes, le percement de l’isthme de Suez aura probablement plus contribué à élargir l’hindouisme que les efforts consciencieux de Râm Mohun Roy ou de Keshub.

Parmi les causes qui tendront, dans les sociétés futures, à éliminer l’ancien dogme de la providence spéciale, notons le développement de tous les arts, celui du commerce même et de l’industrie, qui n’en est encore qu’à ses débuts. Le commerçant, l’industriel s’habitue déjà à ne compter que sur soi, sur son initiative, sur son ingéniosité personnelle ; il sait que travailler, c’est prier, non pas en