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la foi dogmatique large.

humain, pourquoi ne se donnerait-il pas à moi ? s’il est venu au devant du monde qui ne l’appelait point, pourquoi ne descendrait-il pas en moi qui l’appelle et crie vers lui ? si Dieu s’est fait chair, s’il a été présent dans un corps humain, que trouvez-vous d’étrange dans sa présence réelle en mon sang et en ma chair ? Vous voulez bien du miracle, mais à condition de ne pas le voir ; que signifie cette fausse pudeur ? Quand on croit à quelque chose, il faut vivre au sein de cette croyance, il faut la voir et la retrouver partout ; quand on a un Dieu, c’est pour qu’il marche et respire sur la terre : il ne faut pas reléguer celui qu’on adore dans un coin du ciel, lui interdire de paraître au milieu de nous, se moquer de ceux qui le voient, le sentent, le touchent. Les libres-penseurs peuvent sourire, quand ils en ont le courage, du prêtre convaincu qui croit Dieu présent à l’hostie qu’il tient entre ses mains, présent au temple où il officie ; ils peuvent aussi se railler de l’enfant des campagnes qui croit voir les Saints ou la Vierge vrai croyant ne peut que prendre tout cela au sérieux. Les protestants prennent bien au sérieux le baptême et pensent qu’il est de toute nécessité pour le salut. Luther croyait bien au diable ; il le voyait partout, dans la grêle, dans les incendies, dans le tumulte qui se faisait parfois sur son passage, dans les interruptions qui éclataient pendant ses sermons ; il l’apostrophait, il menaçait tous les démons, « fussent-ils aussi nombreux que les tuiles des toits. » Un jour même il exorcisa si bien le Mauvais, qui manifestait sa présence par les vociférations des assistants, que le sermon commencé au milieu du plus grand trouble put s’achever tranquillement : le diable avait eu peur. Pourquoi donc le protestant orthodoxe, surtout de nos jours, veut-il s’arrêter dans sa foi ? Pourquoi s’imaginer que Dieu ou le diable soient apparus seulement il y a deux mille ans ? Pourquoi croire aux guérisons de l’Évangile et ne pas croire aux légendes naïves qu’on raconte sur la communion, ou encore aux miracles de Lourdes ? Tout se tient dans la foi, et si vous voulez renoncer à votre raison, pourquoi ne pas avoir ce mérite jusqu’au bout ? Comme l’observe M. Matthew Arnold, la doctrine protestante orthodoxe, en admettant que le Fils de Dieu peut se substituer comme victime expiatoire aux hommes condamnés pour la faute d’Adam, — en d’autres termes qu’il peut souffrir pour un crime qu’il n’a pas commis à la place de gens qui ne l’ont pas commis non