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dissolution des religions.

au rang de doctrine orthodoxe. Calvin a brûlé Servet ; les puritains d’Amérique, jusqu’en 1692, ont puni de mort les sorciers et les blasphémateurs.

Si le protestantisme a servi finalement la liberté de conscience, c’est que toute hérésie est un exemple de liberté et d’affranchissement qui entraîne après lui une série d’autres hérésies. En d’autres termes, l’hérésie est une conquête du doute sur la foi. Par le doute, le protestantisme sert la liberté ; par la foi, il cesserait de la servir et la menacerait, s’il était logique. Mais le caractère de certains esprits est précisément de s’arrêter en toutes choses à moitié chemin, entre l’autorité et la liberté, entre la foi et la raison, entre le passé et l’avenir.

Outre les dogmes admis en commun, le vrai protestantisme réclame encore un culte extérieur une manifestation déterminée de la croyance ; il tâche, lui aussi, de s’incorporer dans un certain nombre d’habitudes et de rites, qui deviennent un besoin permanent et ravivent sans cesse la foi prête à s’éteindre ; il exige des temples, des prêtres, un cérémonial. Sous le rapport du culte extérieur comme des dogmes, les protestants orthodoxes se croient aujourd’hui bien supérieurs aux catholiques ; ils ont rejeté en effet avec bon nombre de croyances naïves, bon nombre de pratiques inutiles souvent empruntées au paganisme. Il faut entendre par exemple un protestant exalté, dans ses disputes avec les catholiques, parler de la messe, cette superstition dégradante, par laquelle on interprète « en un sens aussi matériel qu’un sauvage pourrait le faire » la parole du Christ : — Celui qui se nourrit de moi vivra par moi. — Mais ce même protestant n’admet-il donc pas comme le catholique le miracle du sacrifice expiatoire, du Christ se donnant aux hommes pour les sauver ? Du moment où on admet un miracle, pourquoi s’en tenir là, pourquoi ne pas le mutiplier à l’infini ? « Entrez dans cet ordre d’idées, dit M. Matthew Arnold, sera-t-il possible de rien imaginer de plus beau que ce miracle répété chaque jour, Jésus-Christ offert en holocauste à mille lieux dilférents, le croyant mis partout à même de voir se renouveler l’œuvre de la rédemption, de s’unir au corps dont le sacrifice le sauve ? » C’est là, dites-vous, une conception très belle à titre de légende, mais vous refusez d’y croire parce qu’elle choque la raison ; — alors rejetez du même coup toutes les autres choses irrationnelles dont est rempli le christianisme. Si le Christ s’est donné au genre