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la foi dogmatique étroite.

à mort ou aux travaux forcés, en cas de désobéissance à ses prescriptions[1]. » Assurément il serait contradictoire que le médecin qui veut guérir le corps le tuât ; mais il n’est nullement contradictoire que celui qui se croit le médecin de l’âme cherche à exercer quelque contrainte sur le corps. L’objection tombe donc d’elle-même. D’ailleurs, ne nous y trompons pas, si les médecins du corps laissent à leurs malades toute liberté, c’est parfois qu’ils ne peuvent pas faire autrement ; dans certains cas graves, ils tiennent à avoir leurs malades sous leur main, dans l’hôpital, — qui est après tout une sorte de prison. Si un médecin européen avait à soigner un de ces Peaux-rouges qui, atteints de la petite vérole et d’une fièvre de quarante degrés, ont l’habitude d’aller se plonger dans de l’eau glacée pour se rafraîchir, il commencerait par les attacher sur leur grabat. Et tout médecin souhaiterait de pouvoir procéder de la même manière, même en Europe, même de nos jours, à l’égard de certains imprudents qui se sont tués en partie par leur faute, comme les Gambetta, les Mirabeau et tant d’autres moins illustres.

De plus, il ne faut pas raisonner comme si le croyant pouvait s’isoler et n’agir que pour lui seul. Par exemple, qu’est-ce que la liberté absolue de l’éducation pour le catholique ? c’est le droit des parents à faire damner leurs fils. Ce droit est-il pour eux admissible ? Voici des livres propres à détruire la foi, qu’ils viennent d’un Voltaire, d’un Strauss ou d’un Renan, des livres qui, s’ils se répandent, perdront des âmes, « chose plus grave encore que la mort des corps », comme dit Théodore de Bèze avec saint Augustin ; une nation vraiment pénétrée de la charité chrétienne laissera-t-elle ces livres se répandre, sous prétexte que la foi doit avoir son principe dans la seule volonté ? Non. Avant tout, il faut délivrer la volonté même des liens de l’hérésie ou de l’erreur ; c’est à ce prix seulement qu’elle est libre. De plus, il faut empêcher la volonté corrompue de corrompre les autres. L’intolérance charitable, on le voit, se justifie au point de vue exclusivement théologique. Elle s’appuie sur des raisonnements logiques dont le point de départ seul est vicieux[2].

  1. M. Franck, Des rapports de la religion et de l’État.
  2. On comprend les hautes autorités ecclésiastiques qui, dans le catholicisme, ont érigé en article de foi le droit de réprimer l’erreur. Rappelons les pages bien connues où saint Augustin raconte comment il a constaté le