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la foi dogmatique étroite.

lui mit dans la main un microscope ; le prêtre regarda à travers l’instrument, et voici que, sur tous les objets qui l’entouraient, sur les fruits qu’il s’apprêtait à manger, dans la boisson qu’il allait prendre, partout où il voulait mettre la main et poser le pied, il vit s’agiter et fourmiller une mouvante multitude de petits animaux dont il ignorait l’existence, d’êtres qui pour lui n’avaient jamais compté dans l’univers. Stupéfait, il rendit le microscope à l’Européen. « Je vous le donne », dit celui-ci. Alors le prêtre, avec un mouvement de joie, saisissant l’instrument, le brisa par terre ; puis il s’en alla satisfait, comme si du même coup il avait anéanti la vérité et sauvé sa foi. Heureusement on peut, sans grand dommage à notre époque, briser un instrument d’optique ou de physique qu’il n’est pas difficile de remplacer ; mais que serait-il advenu d’une intelligence remise entre les mains de ce croyant fanatique ? Ne l’eût-il pas écrasée au besoin comme cet instrument de verre, en la sacrifiant d’autant plus gaiement qu’une plus limpide lueur de vérité eût filtré à travers elle ? Nous avons aux Indes l’exemple d’une doctrine philosophique bien inoffensive en apparence et soutenue à diverses reprises par de grands penseurs, celle de la transmigration des âmes, qui, devenue dogme religieux, produit comme conséquence indirecte l’intolérance, le mépris de la science et tous les effets habituels d’un dogme aveugle. C’est que la foi dogmatique et absolutiste, sous toutes les formes où elle se manifeste, tend toujours à arrêter la pensée dans sa marche en avant. De là l’intolérance qui résulte de la foi dogmatique étroite ; c’est une conséquence qui mérite d’être mise en lumière et sur laquelle nous devons insister.

L’intolérance n’est que l’extension au dehors de la domination exclusive exercée au dedans de nous par la foi dogmatique. La croyance en une révélation sur laquelle s’appuie toute religion dogmatique, est le contraire même de la découverte progressive ; partout où l’on affirme que la première existe, la seconde devient inutile ; plus qu’inutile, dangereuse : elle finira donc par être condamnée. L’intolérance, d’abord théorique, puis pratique, dérive de la foi à l’absolu sous ses diverses formes. L’absolu a pris d’abord, en toute religion révélée, la forme du dogme. Il a pris en second lieu celle du commandement dogmatique et catégorique. Il y a toujours eu des choses qu’il fallait croire et des pratiques qu’il fallait accomplir sous peine de perdition. On a pu étendre ou rétrécir la sphère des