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la foi dogmatique étroite.

parole sacrée, les écrits qui la transmettent, tout cela n’est pas seulement pour lui un symbole, c’est une preuve même de sa foi. J’entendais dire un jour dans une église : — Une preuve incontestable que Moïse s’est entretenu sur la montagne avec le Seigneur, c’est que le mont Sinaï existe encore. — Cette sorte d’argument a toujours prise sur les peuples. Livingstone raconte que les nègres ne tardaient pas à l’écouter et à le croire du moment où il leur montrait la Bible, en leur disant que le Père céleste avait marqué sa volonté sur ces feuilles de papier ; ils touchaient les feuilles et ils acquéraient la foi.

En somme, confiance aveugle en une parole, en un signe, induction précipitée par laquelle on infère de la réalité du signe la réalité de la chose signifiée ; autre induction selon laquelle une doctrine relativement élevée au point de vue moral ou social et mise en avant par des hommes respectés apparaît comme vraie, fût-elle irrationnelle sur beaucoup de points, — voilà les principaux éléments de la foi primitive à la révélation. Cette foi encore très grossière s’est pourtant transmise jusqu’à nos jours. Elle s’impose par les yeux et les oreilles : c’est ce qui fait sa force. Elle est beaucoup moins mystique qu’on ne pourrait le croire ; elle a pris corps, elle vit dans ses monuments, ses temples, ses livres ; elle marche et respire dans un peuple de prêtres, de saints, de dieux : nous ne pouvons regarder autour de nous sans la voir s’exprimer d’une façon ou d’une autre. Grande puissance pour une pensée humaine, quelque fausseté qu’elle renferme, d’avoir pu s’exprimer ainsi, façonner les objets à son image, pénétrer la pierre et le marbre : elle est ensuite renvoyée, réfléchie vers nous par tous ces objets extérieurs ; comment ne pas y croire, puisqu’elle est devenue visible et tangible ?

La foi au témoignage et à l’autorité finit par devenir la foi à un texte saint à la lettre même de ce texte. C’est alors ce qu’on a appelé la foi littérale. Ce genre de foi subsiste encore, de nos jours, chez un grand nombre de peuples civilisés. Il constitue le fond du catholicisme des masses. « Afin de faire taire les esprits inquiets », dit le concile du Vatican après le concile de Trente, « il est décrété que nul ne peut, dans l’interprétation des saintes Écritures,… s’écarter du sens donné par l’Église pour chercher une explication prétendue plus éclairée. » La foi de%-ient alors la renonciation de la pensée, qui abdique sa liberté : elle s’impose à elle-même une règle non pas seulement de logique, mais de morale, et