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le culte et le rite.

se conserve encore de nos jours en Bretagne. Les absents ont tort, même auprès des dieux ou des saints. Il serait contraire, pour les esprits simples, au principe de la proportion des échanges qu’une simple pensée, une prière mentale pût nous valoir aussi sûrement, de la part des dieux, une action en retour.

Toute religion réclame un culte extérieur bien déterminé, une manifestation précise de la croyance ; elle tâche de s’incorporer dans un certain nombre d’habitudes et de rites d’autant plus nombreux et plus imprescriptibles que la religion est plus primitive. L’universalité du culte extérieur dans les diverses religions est la conséquence et la preuve la plus frappante de leur origine toute sociomorphique. L’homme a toujours cru qu’il pouvait directement être utile et agréable à ses dieux, tant il les concevait comme ses semblables et ses voisins.


Ajoutons qu’à l’idée de séduire les dieux ne tarde pas à se joindre celle de les contraindre d’une manière ou d’une autre. À la conception d’un échange de services s’ajoute aussi celle d’une coercition exercée d’une manière vague, par l’intermédiaire de quelque dieu ami, ou même de la simple formule magique qui a réussi une première fois et une première fois procuré l’objet demandé ! Les formules consacrées par l’habitude, apparaissent comme enchaînant les dieux à l’égal des hommes. Aussi le culte, d’abord abandonné plus ou moins à l’arbitraire, a-t-il fini par devenir cette chose minutieusement réglée qu’on retrouve dans toute bonne religion, le rite. Le rite, en ce qu’il a d’inférieur et d’élémentaire, n’est que la tendance à répéter indéfiniment l’acte qui a paru une première fois rendre propice le dieu ou le fétiche. Après la propitiation vient l’habitude mécanique. Religion, comme l’a bien dit Pascal, c’est en grande partie habitude. Le rite naît du besoin de reproduire le même acte dans les mêmes circonstances, besoin qui est le fond de l’accoutumance et sans lequel toute vie serait impossible. Aussi y a-t-il quelque chose de sacré dans toute habitude, quelle qu’elle soit ; d’autre part, tout acte quel qu’il soit, tend à devenir une habitude, et par là à prendre ce caractère respectable, à se consacrer en quelque sorte lui-même. Le rite tient donc, par ses origines, au fond même de la vie. Le besoin du rite se manifeste de très bonne heure chez l’enfant : non seulement l’enfant imite et s’imite,