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la genèse des religions.

qui croit recevoir des dieux, se sent aussi obligé de leur donner quelque chose en échange. Il imagine ainsi une certaine réciprocité d’action entre la divinité et l’homme, un retour possible de bons ou de mauvais procédés : il a quelque prise sur les dieux, il est capable de leur procurer de la satisfaction ou de leur causer de la peine, et les dieux répondront en lui rendant au centuple cette peine ou ce plaisir.

On sait combien le culte était grossier à l’origine. C’était une simple application pratique de l’économie sociale : on offrait à boire ou à manger aux dieux ; l’autel était une boutique de boucher ou de marchand de vin, et le culte un véritable commerce entre le ciel et la terre, une sorte de marché dans lequel l’homme offrait des agneaux ou des brebis pour recevoir en échange la richesse ou la santé. De nos jours, le culte s’est raffiné ; l’échange est devenu de plus en plus symbolique ; le don n’est plus, de la part de l’homme, qu’un hommage moral et n’attend plus de retour immédiat ; néanmoins le principe du culte est toujours le même : on croit à une action directe de l’homme sur la volonté de Dieu, et cette action s’exerce au moyen d’offrandes ou de prières formulées d’avance.

Un autre principe du culte primitif, c’était la proportionnalité des échanges. On ne peut attendre d’un autre qu’en proportion de ce qu’on lui a donné ; inclinez-vous trois fois devant lui, il sera mieux disposé que si vous vous inclinez une seule fois ; offrez-lui un bœuf, il vous aura plus de reconnaissance que pour l’offrande d’un œuf. Donc, pour les esprits incultes et superstitieux, la quantité et le nombre doivent régler nos rapports avec les dieux comme ils règlent nos rapports entre nous : multipliez les prières, vous multiplierez vos chances favorables ; trois pater valent mieux qu’un, une douzaine de cierges produiront un effet bien supérieur à un seul ; une prière que vous allez dire au temple, en grande évidence, un cantique chanté d’une voix sonore attirera plus l’attention qu’une demande silencieuse formulée du fond du cœur. De même, si on veut obtenir la pluie ou le soleil pour les récoltes, c’est dans les champs qu’il faudra aller demander la chose, en une longue file bariolée et chantante : il est toujours bon de montrer du doigt ce qu’on désire et de se montrer soi-même. Afin de fixer mieux la prière au sein même de l’idole, les premiers hommes lui enfonçaient un clou dans les membres, et la coutume des épingles enfoncées au corps des saints