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classification des métaphysiques religieuses.

de cultes de plus en plus généraux a été la conséquence du même progrès scientifique. L’humanité a commencé par des adorations toutes spéciales de dieux tout particuliers. À en croire certains linguistes. il est vrai, les choses de la nature, le soleil, le feu, la lune, auraient été d’abord adorés comme des êtres impersonnels ; ils n’auraient été ensuite personnifiés que parce qu’on prit à la lettre les expressions figurées qui les désignaient, comme le Brillant (Ζεύς). Certains mythes ont pu sans doute prendre ainsi naissance : nomina, numina ; mais l’humanité ne va pas du général au particulier. La religion primitive, au contraire, s’est d’abord éparpillée en cultes de toutes sortes ; c’est seulement plus tard que se sont opérées les simplifications et généralisations. Le passage du culte fétichiste au culte polythéiste et au culte monothéiste n’a été que la conséquence d’une conception des choses de plus en plus scientifique, d’une absorption progressive des puissances transcendantes dans une puissance immanente aux lois mêmes de l’univers.

Mais ce qui est plus important encore que cette évolution à la fois métaphysique et scientifique, c’est l’évolution sociologique et morale des religions. Ce qui importe en effet, c’est moins la notion qu’on se forme du rapport d’une substance première à ses manifestations dans l’univers, que la façon dont on se représente les attributs de cette substance et ceux mêmes des êtres de l’univers. En d’autres termes, quel genre de société est l’univers ? quel genre de liens sociaux entre les divers êtres, par cela même de liens plus ou moins moraux, dérive du lien fondamental qui les rattache à un principe commun et immanent ? Voilà le grand problème dont les autres ne sont que la préparation. Il s’agit là de se représenter le vrai fond des êtres et de l’être, indépendamment des rapports numériques, logiques et même métaphysiques. Or, une telle représentation du fond des choses ne pouvait être que psychologique et morale. Psychologiquement, c’est la puissance qui a été le premier et essentiel attribut des divinités, et cette puissance était surtout conçue comme redoutable. L’intelligence, la science, la prévoyance n’est devenue que plus tard un attribut des dieux. Enfin la moralité divine, sous la double forme de la justice et de la bonté, est une conception très ultérieure. Nous allons la voir se développer avec la morale même des religions.