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la genèse des religions.

Maintenant, remarquons combien, même de nos jours, il est facile de confondre le mot faire et le mot créer qui d’ailleurs n’existait pas à l’origine. Comment distinguer nettement ce qu’on façonne de ce qu’on crée ? Il y a toujours en toute action une certaine création ; parfois cette création prend un caractère magique et semble sortir ex nihilo, Quelle merveille, par exemple, que le feu qui jaillit de la pierre et du bois, et où les Hindous voyaient le symbole de la génération ! Avec le feu, les premiers peuples touchaient du doigt le miraculeux. En apparence, le caillou qu’on frappe ou le bois sec qu’on frotte pour en faire jaillir l’étincelle féconde ne se consument pas eux-mêmes, ils donnent sans perdre, ils créent ; le premier qui a saisi le secret du feu semble avoir introduit quelque chose de vraiment nouveau dans le monde, avoir ravi le pouvoir des dieux. En général, ce qui distingue le véritable artiste du simple ouvrier, c’est le sentiment d’être arrivé à un résultat dont il ne s’était pas rendu compte, d’avoir fait plus qu’il ne voulait faire, de s’être soulevé au-dessus de lui-même ; le génie n’a pas dès l’abord la pleine conscience de ses ressources, comme le simple talent ; il sent en lui de l’imprévu, une force qui n’est pas calculable et mesurable d’avance, une puissance créatrice : c’est ce qui fait d’ailleurs l’orgueil des vrais artistes. Même quand il s’agit d’un déploiement de force purement pbysique, une surexcitation nerveuse peut appeler au jour une épargne d’énergie musculaire dont on n’avait pas conscience : l’athlète, pas plus que le penseur, telle circonstance étant donnée, ne sait de quel tour de force, de quelle merveille il sera capable. Chacun de nous a ainsi, à certaines heures de son existence, la conscience d’une création au moins apparente, d’un appel de forces tirées brusquement du néant ; il sent qu’il a produit par sa volonté un résultat dont son intelligence ne peut pas saisir toutes les causes et qu’elle ne peut rationnellement expliquer. Là est le fondement et, en une certaine mesure, la justification de la croyance aux miracles, au pouvoir extraordinaire de certains hommes et, en dernière analyse, à la faculté de créer. Cette puissance indéfinie que l’homme croit parfois sentir on soi, il la transportera naturellement chez ses dieux. Puisqu’il les conçoit comme agissant sur le monde d’une manière analogue à lui-même, il les concevra aussi comme capables de faire surgir quelque chose de nouveau dans le monde, et cette idée de pouvoir créateur, une fois intro-