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la genèse des religions.

sont aussi des demandes et que leur sourire est l’épanouissement du désir satisfait. Mais, sans une foi réelle, sans une certaine part de réelle naïveté, il ne se crée pas de religion, il ne se fait pas de révolution, aucun changement important ne saurait se produire dans l’humanité. L’affirmation intellectuelle et l’action sont toujours proportionnées l’une à l’autre : agir, c’est croire, et croire, c’est agir.

De nos jours on commence à expliquer scientifiquement les miracles. Ce sont des phénomènes comme tous les autres ; fort souvent ils ont été vus et racontés de bonne foi, mais mal interprétés. Chacun connaît, par exemple, le miracle biblique d’Isaïe qui « fait rétrograder » l’ombre de dix degrés sur le cadran solaire ; on est parvenu à reproduire cette expérience bien capable de frapper d’étonnement les spectateurs. M. Guillemin[1] démontre, par des raisonnements géométriques, qu’en inclinant légèrement le cadran sur l’horizon on peut obtenir une rétrogradation plus ou moins grande de l’ombre. — De même, les apparitions successives de Jésus ressuscité ont leur pendant dans ce fait récent arrivé aux États-Unis : un condamné à mort, à l’exécution duquel avaient assisté tous les détenus de la même prison, leur apparut successivement à tous le lendemain ou le surlendemain. C’est là un cas bien remarquable d’hallucination collective, qui nous montre qu’un groupe d’individus vivant dans le même courant d’émotions peuvent être frappés en même temps des mêmes visions, sans qu’il y ait de leur part aucune fraude consciente ou inconsciente. — Un troisième miracle, d’un genre tout différent, a aussi reçu une explication scientifique : il s’agit de la coloration de la toison dans les troupeaux de Laban et de Jacob ; cette coloration s’obtenait par un procédé de zootechnie très connu des Égyptiens et signalé par Pline. — M. Matthew Arnold croit que les guérisons miraculeuses ne sont pas non plus de la pure légende, qu’elles témoignent simplement de l’influence toujours très grande du moral sur le physique. Jésus a réellement chassé, exorcisé des « démons », à savoir « les passions folles qui hurlaient autour de lui ». Ainsi on peut comprendre en leur vrai sens ces paroles : « Que je te dise : Tes péchés te sont pardonnés, ou que je te dise : Lève-toi et marche, il n’im-

  1. Actes de la Société helvét. des sc. nat., août 1877.