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la genèse des religions.

celle des autres : l’intervention du providentiel. Alors le sacrifice et la prière sont devenus ses grands moyens d’action sur le monde. Il vivait suspendu au surnaturel. À l’origine de toute religion existe toujours un certain sentiment du mal, une souffrance et une terreur ; pour corriger ce mal, le croyant ne trouvait rien que le miracle. La providence fut ainsi la seule formule primitive du progrès, et la première espérance des hommes n’a été que dans le surhumain.

Sentiment ou crainte d’un mal et croyance qu’il peut être guéri par l’intervention divine, telle fut l’origine de la prière. Une religion positive ne peut guère, de nos jours même, se contenter de représenter Dieu comme veillant de loin sur nous et ayant réglé d’avance, depuis le commencement des temps, nos biens et nos maux ; il faut absolument qu’elle le montre présent au milieu de nous, qu’elle nous fasse voir en ce moment même une main prête à se tendre pour nous soutenir, une puissance capable de suspendre à notre profit le cours de la nature. Pour exciter la piété du moment présent, il faut que la religion habitue l’esprit à la pensée du miracle présentement possible, qu’elle nous persuade qu’il y en a eu dans le temps, qu’il y en a même sans cesse, qu’il suffit parfois de les demander pour les obtenir. Ainsi le croyant en vient à opposer au déterminisme ordinaire de la nature une volonté toujours capable de le suspendre, à compter sur cette volonté, à attendre son intervention, à espérer dans les moyens surnaturels, non moins que dans les moyens naturels, à négliger parfois ceux-ci pour ceux-là.


Comme l’a remarqué Littré, la pensée peut se comporter de trois manières à l’égard des miracles : les adorer, les rejeter comme une mystification, ou les expliquer par des moyens naturels. Les temps primitifs, l’antiquité et le moyen âge ne pouvaient manquer d’adorer les miracles ; le dix-huitième siècle les rejeta comme des impostures et s’en moqua. C’est alors que fit fortune la théorie qui voyait dans les fondateurs de la religion de simples mystificateurs. L’une des péripéties les plus nécessaires et les plus sérieuses du grand drame humain n’apparut plus que comme une comédie. On oubliait qu’il n’y a guère de vie d’homme vouée en sa totalité au mensonge ;