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le génie comme puissance de sociabilité.

gement de l’autre, une nouvelle nature dans la nature ? Ajoutez la nature humaine à la nature universelle, vous avez l’art : ars homo additifs naturæ. — D’autre part, qu’est-ce que la réalité même, pour le poète, sinon une vision, d’un autre genre que celle où le cerveau seul enfante, mais pourtant encore une vision ?


Le spectre du réel traverse ta pensée.
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Tout en te disant chef de la création,
Tu la vois ; elle est là, la grande vision,
Elle monte, elle passe, elle emplit l’étendue[1].
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Shakespeare a exprimé avec une mélancolie profonde cette analogie finale de la réalité et du rêve, de la nature et de l’art, de la vie et de l’illusion universelle : « Nos divertissements sont maintenant finis. Ces êtres, nos acteurs, étaient tous des esprits ; ils se sont fondus en air, en air subtil… ; pareils à l’édifice sans base de cette vision, les tours coiffées de nuages, les palais somptueux, les temples solennels, ce grand globe lui-même et tout ce qu’il contient se dissoudront un jour, et, comme s’est dissipée cette insubstantielle fantasmagorie, ils s’évanouiront sans même laisser derrière eux un flocon de vapeur. Nous sommes faits de la même étoffe que les rêves, et notre pauvre petite vie est environnée de sommeil. Seigneur, je suis un peu chagrin ; excusez ma faiblesse : mon vieux cerveau est troublé… »[2]

L’imagination ne fonctionne et n’organise les images en un tout vivant que sous l’influence d’un sentiment dominateur, d’une inclination, d’un amour. L’association des idées ou images a besoin d’un moteur, qui est toujours un intérêt pris à quelque chose, un désir, une volonté attachée à quelque fin. M. de Hartmann a eu raison de dire : « Si je considère un triangle rectangle sans avoir un intérêt particulier à

  1. Hugo, l’Âne, p. 137.
  2. La Tempête, acte IV (Prospero à Ferdinand).