pouillée et nue, mais une intelligence suivant une direction, se proposant un but, faisant effort pour y arriver, écartant les obstacles, une volonté enfin et, qui plus est, une volonté humaine, avec laquelle nous sympathisons, dont nous aimons la lutte, les efforts, le triomphe. Il y a quelque chose de passionné et de passionnant dans une suite de raisonnements aboutissant à une vérité découverte, et c’est par ce côté qu’elle est esthétique. Un exercice purement abstrait de l’intelligence, sans un éveil correspondant du désir et de toutes les forces de l’être, n’eût pu aussi bien faire oublier à Pascal un mal de dents. Comme la volonté et la sensibilité, l’imagination même est intéressée dans le raisonnement le plus abstrait, et la preuve, c’est que nous nous figurons toujours le raisonnement : c’est une véritable construction que nous voyons s’élever devant nous, tantôt une échelle dont nous montons ou descendons les degrés, tantôt un savant arrangement de lignes concentriques de circonvolution. Raisonner, c’est marcher, c’est monter, c’est conquérir. Le raisonnement peut être abstrait des choses sans être le moins du monde abstrait de notre personnalité, abstrait de nous-mêmes ; on peut se mettre tout entier dans un théorème, et par là, ajoutons-le, on y fait bien entrer quelque chose du monde concret, et même tout le monde que nous portons en nous.
Les objets que nous appelons inanimés sont bien plus vivants que les abstractions de la science, et c’est pour cela qu’ils nous intéressent, nous émeuvent, nous font sympathiser avec eux, par cela même éveillent des émotions esthétiques. Un simple rayon de soleil ou de lune nous touche s’il évoque dans notre pensée les figures souriantes des deux astres amis.
Prenons pour exemple le paysage : il nous apparaîtra comme une association entre l’homme et les êtres de la nature.
1o Pour goûter un paysage, il faut s’harmoniser avec lui. Pour comprendre le rayon de soleil, il faut vibrer avec lui ; il faut aussi, avec le rayon de lune, trembler dans l’ombre du soir ; il faut scintiller avec les étoiles bleues ou dorées ; il faut, pour comprendre la nuit, sentir passer sur nous le frisson des espaces obscurs, de l’immensité vague et inconnue. Pour sentir le printemps, il faut avoir au cœur un peu de la légèreté de l’aile des papillons, dont nous respirons la fine poussière répandue en quantité appréciable dans l’air printanier.