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l’émotion esthétique. son caractère social.

conscrite qu’elle soit, peut encore exister sans doute, mais à une condition : c’est que l’objet où elle existe ne devienne pas le siège d’associations franchement désagréables.

En résumé, l’utile n’est beau que par l’élément intellectuel de iinalité aperçue et par l’élément sensible de satisfaction éprouvée d’avance ; il est une anticipation de l’agréable par la perception d’un ensemble de moyens bien ordonnés pour cette fin ; il satisfait donc l’intelligence et la volonté, et il peut aussi, dès à présent, satisfaire la sensibilité ; quand ce triple résultat se produit, quand l’utile nous transporte d’avance au terme et au but, la finalité devient beauté.

Il est à remarquer que l’utile a ordinairement un côté social, et par là encore il acquiert un certain degré élémentaire de beauté, car nous sympathisons avec tout ce qui a un but social et humain, avec tout ce qui est ordonné en vue de la vie humaine, surtout de la vie collective.


Si, des rudiments du beau, nous nous élevons à son plus haut développement, le côté social de la beauté va croissant et finit par tout dominer. La solidarité et la sympathie des diverses parties du moi nous a semblé constituer le premier degré de l’émotion esthétique ; la solidarité sociale et la sympathie universelle va nous apparaître comme le principe de l’émotion esthétique la plus complexe et la plus élevée.

D’abord, il n’y a guère d’émotion esthétique sans une émotion sympathique ; et pas d’émotion sympathique sans un objet avec lequel on entre en société d’une manière ou d’une autre, qu’on personnifie, qu’on revêt d’une certaine unité et d’une certaine vie. Donc, pas d’émotion esthétique en dehors d’un acte de l’intelligence par lequel on anthropomorphise plus ou moins les choses en faisant de ces choses des êtres animés, et les êtres animés en les concevant sur le type humain.

Les abstractions mêmes ont besoin de paraître vivre pour devenir belles. On a dit qu’une suite de raisonnements abstraits est esthétique en elle-même. Soit, parce qu’elle est déjà une harmonie ; mais ce qui la rend surtout esthétique, c’est le côté humain et sympathique de cette harmonie. Supposons une série de raisonnements abstraits sur des objets abstraits, par exemple une suite de théorèmes d’algèbre. Ce que nous y admirerons, ce ne sera pas une intelligence purement dé-