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l’émotion esthétique. son caractère social.

et plus harmonieuse, dont la volonté saisit immédiatement l’intensité et dont l’intelligence perçoit immédiatement l’harmonie. Dans tout sentiment de jouissance comme tel et considéré en lui-même, il y a déjà une certaine intensité de vie et une certaine harmonie ; il y a donc déjà un rudiment de valeur esthétique ; mais ce sentiment ne devient vraiment esthétique que quand l’intelligence perçoit spontanément l’harmonie même qu’il enveloppe et quand la volonté en mesure spontanément l’intensité. Il faut que notre conscience entière soit intéressée et en action, mais sans raisonnement et sans calcul, de manière à éprouver immédiatement et spontanément une jouissance tout à la fois sensitive et volontaire.


Précisément parce que nous identifions le beau avec l’agréable intellectuel, nous ne pouvons songer à l’identifier avec l’utile, qui diffère si souvent de l’agréable même. L’utile est un ensemble de moyens en vue de la jouissance à venir ; il n’est donc pas l’agréable, mais la recherche parfois pénible de l’agréable. Or le beau doit plaire immédiatement.

Dans nos Problèmes d’esthétique contemporaine, nous avons montré que le sentiment de l’utile n’exclut pas toujours le plaisir du beau ; nous avons réfuté ainsi certaines exagérations de Kant et des évolutionnistes, qui rejettent de la beauté toute finalité, même immédiatement sentie. Selon nous, l’utilité peut constituer parfois dans les objets un premier degré de beauté très inférieure ; mais l’utilité n’est belle que dans la mesure où elle ne s’oppose pas à l’agréable, où elle est même pour ainsi dire de l’agréable fixé, de l’agréable pressenti : il faut que l’utile nous fasse jouir d’avance d’un effet qui charme. L’agréable et le beau peuvent toujours subsister indépendamment de l’utile, comme le plaisir et le bonheur à part de l’intérêt, qui n’est qu’un calcul de moyens intermédiaires. Si donc nous croyons que tout ce qui est utile, c’est-à-dire adapté à une certaine fin, ordonné pour cette fin, apporte par cela même à l’intelligence une satisfaction et acquiert ainsi quelque degré de beauté, loin de nous la pensée que tout ce qui est beau doive, pour être admiré, justifier d’une utilité pratique, et qu’on doive, par exemple, connaître « l’emploi d’un vase antique » avant de le trouver beau. De même, pour reprendre un exemple de M. Havet, nous ne saurions hésiter