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l’émotion esthétique. son caractère social.

chologie moderne, à une solidarité organique, à une conspiration de cellules vivantes, à une sorte de conscience sociale et collective au sein même de l’individu. Nous disons : moi, et nous pourrions aussi bien dire nous. L’agréable devient beau à mesure qu’il enveloppe plus de solidarité et de sociabilité entre toutes les parties de notre être et tous les éléments de notre conscience, à mesure qu’il est plus attribuable à ce nous qui est dans le moi.

Tout, dans l’organisme, se détermine réciproquement, de telle sorte que l’état d’un sens particulier réagit aussitôt sur tout le système nerveux, et qu’il n’est peut-être pas de sensation réellement indifférente pour l’ensemble de l’organisme. Selon M.  Féré, toute sensation est suivie d’une augmentation de nos forces nerveuses. Un sujet qui a manifesté une certaine force au dynamomètre en manifeste ensuite davantage lorsqu’il a été soumis à des excitations sensorielles. Les émotions esthétiques peuvent avoir une influence non seulement sur la vie de relation, mais encore sur la vie organique, où elles augmentent l’activité circulatoire et par conséquent l’activité nutritive. Il y a longtemps que Haller constatait que le son du tambour exagérait l’écoulement du sang d’une veine ouverte. Rappelons que la perte de la vue peut déranger l’équilibre général de l’organisme et altérer les centres nerveux : elle produit fréquemment l’aliénation mentale ; des individus, qui étaient devenus ainsi aliénés en perdant la vue, recouvrèrent la raison après avoir recouvré la vue par une opération. Sur cent vingt aveugles examinés par le docteur Dumont, trente-sept (le tiers à peu près) présentaient des désordres intellectuels variant depuis l’hypocondrie jusqu’à la manie et aux hallucinations. Mêmes observations au sujet du toucher. D’après un fait rapporté par le docteur Auzouy, un jeune homme très intelligent et d’excellent caractère devint si indiscipliné et d’une telle conduite à la suite d’une anesthésie de la peau, qu’on fut obligé de le faire enfermer dans l’asile de Marseille. Avec le retour de la sensibilité cutanée sous l’influence d’un traitement, l’équilibre moral et intellectuel se rétablit. Ce jeune homme éprouva encore à diverses reprises plusieurs périodes d’insensibilité de la peau, et à chaque fois les mauvais instincts qui l’avaient fait enfermer ne tardaient pas à se réveiller, pour disparaître avec la guérison. On voit