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l’art au point de vue sociologique.

n’est là que le grossissement d’un phénomène qui se produit, infiniment moindre, toutes les fois que la vie entre en contact avec la vie. Le toucher est, par excellence, le sens de la vie, et c’est aussi celui qui nous révèle le plus sûrement la mort. Laura Bridgman se souvient encore de l’émotion horrible qu’elle ressentit, toute petite, au toucher d’un cadavre. C’est parce que le toucher est ainsi le sens de la vie qu’il a pris une si grande importance dans le rapport des sexes ainsi que dans ceux des parents et des enfants. Nous pouvons par là comprendre pourquoi, comme le remarque Bain, le toucher est toujours sous-entendu dans toutes les émotions tendres, pourquoi chaque créature est disposée à « donner quelque chose » pour le plaisir premier de l’embrassement, même lorsqu’il n’est que paternel ; pourquoi enfin ce plaisir de l’embrassement se retrouve au fond de toutes les affections bienveillantes, familiales ou sociales. Dans l’embrassement, c’est la vie de l’espèce entière dont nous cherchons à sentir la vibration puissante et que nous tentons de faire passer en nous. Si Bain a raison de rejeter l’hypothèse de Spencer qui ramène simplement l’amour des parents pour leur progéniture à l’« amour du faible », s’il a raison de voir dans l’amour maternel le plus primitif une sorte de réponse réflexe à « l’étreinte du petit », c’est que cette étreinte révèle à la mère non pas la faiblesse, mais la force même de la vie, d’une vie qui, — la mère la plus animale le sent bien encore vaguement, — est sortie d’elle-même, est dans une profonde harmonie avec la sienne propre, et dont toutes les palpitations ne sont pour ainsi dire que le retentissement des battements de son propre cœur.

3o Le sens de l’odorat a eu aussi, à des périodes inférieures de l’évolution, un rôle considérable dans la transmission des sensations et émotions. Ce rôle est évident chez les sociétés animales ; il a subsisté longtemps chez les sociétés humaines primitives. Si, aujourd’hui, son importance s’est effacée dans les phénomènes psychiques conscients, elle a dû persister dans les phénomènes inconscients ; elle se manifeste encore plus ou moins au moment des amours ; elle permet encore au médecin de distinguer à distance telle ou telle maladie, et jusqu’à l’aliénation mentale. Enfin, chez les névropathes et les hypnotisés, le sens de l’odorat reprend tout à coup une importance