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l
préface

projetée dans un temps à venir ou dans l’éternité. Le but de l’art, au contraire, est la réalisation immédiate en pensée et en imagination, et immédiatement sentie, de tous nos rêves de vie idéale, de vie intense et expansive, de vie bonne, passionnée, heureuse, sans autre loi ou règle que l’intensité même et l’harmonie nécessaires pour nous donner l’actuel sentiment de la plénitude dans l’existence. La société religieuse, la cité plus ou moins céleste est l’objet d’une conviction intellectuelle, accompagnée de sentiments de crainte ou d’espérance ; la cité de l’art est l’objet d’une représentation intellectuelle, accompagnée de sentiments sympathiques qui n’aboutissent pas à une action effective pour détourner un mal ou conquérir un bien désiré. L’art est donc vraiment une réalisation immédiate par la représentation même ; et cette réalisation doit être assez intense, dans le domaine de la représentation, pour nous donner le sentiment sérieux et profond d’une vie individuelle accrue par la relation sympathique où elle est entrée avec la vie d’autrui, avec la vie sociale, avec la vie universelle.

Nous espérons mettre en lumière ce côté sociologique de l’art, qui en fait l’importance morale en même temps qu’il lui donne sa vraie valeur esthétique. Il y a, selon nous, une unité profonde entre tous ces termes : vie, moralité, société, art, religion.