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l’art au point de vue sociologique.

sité à l’égard de tout ce qui est dans l’espèce une anomalie, un « phénomène » ; en outre la science moderne, — physiologie ou psychologie, — attache une importance croissante à l’étude des états morbides, parce que ces états permettent de saisir sur le fait la dégradation de nos diverses facultés, de constater celles qui ont la plus grande force de résistance, d’établir ainsi des lois de la vie physique ou psychique valant même pour les êtres bien portants. C’est ainsi qu’on a tiré des amnésies partielles de la mémoire et de la personnalité des lois importantes sur la formation de la mémoire et de la personnalité. La seconde cause, c’est qu’en peignant des êtres à part, véritables monstruosités, on excite plus aisément la pitié ou le rire de la foule. La troisième cause, c’est qu’en s’attaquant à de pareils sujets il est aisé d’obtenir un succès de scandale ; on excite la curiosité, sinon l’intérêt ; un bateleur montre aux spectateurs ébahis un veau à deux têtes, mais si son veau, fùt-il le plus joli du monde, n’avait qu’une tête, il n’obtiendrait aucun succès. En plaçant ainsi la fin de l’art en dehors du fond même de l’art (nous ne disons pas seulement de sa forme), on le rabaisse, on l’altère, on le fait dégénérer. En vain prétendra-t-on justifier la peinture de l’immoralité au nom même de la morale. À entendre Zola, le romancier cherche les causes du mal social ; il fait l’anatomie des classes et des individus pour expliquer les « détraquements qui se produisent dans la société et dans l’homme ». Cela l’oblige souvent à travailler sur des sujets « gâtés », à descendre au milieu des misères et des folies humaines. « Aucune besogne ne saurait donc être plus moralisatrice que la nôtre, puisque c’est sur elle que la loi doit se baser… C’est ainsi que nous faisons de la sociologie pratique et que notre besogne aide aux sciences politiques et économiques. Je ne sais pas de travail plus noble ni d’une application plus large. » Nous voilà revenus aux espérances de l’époque romantique : réformer les mœurs et inspirer les lois. Si la littérature n’est plus une sibylle, elle est une Égérie. Ce n’est plus l’art pour l’art, c’est l’art pour la législation. Beau dessein, dont nous avons vu plus haut le côté légitime, mais contre lequel se re-