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la littérature des décadents.

permettent aux rtns supérieurs de s’adapter à leur inilieu et de le dominer, au lieu d’en être dominés. Dire que la maladie, comme la monstruosité, est normale parce qu’elle est fatale, qu’elle vaut la santé parce qu’elle est tout aussi naturelle, c’est ne pas reconnaître un critérium de valeur naturelle dans rintensité même et dans l’extension de la vie, ainsi que dans la conscience et la jouissance qui en sont la révélation intime. « Un préjugé seul, où réapparaissent la doctrine antique des causes finales et la croyance à un but défini de l’univers, peut, dit Paul Bourget, nous faire considérer comme naturels et sains les amours de Daphnis et de Chloé dans le vallon, comme artificiels et malsains les amours d’un Baudelaire dans le boudoir qu’il décrit, meublé avec un souci de mélancolie sensuelle :


    Les riches plafonds.
    Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
    Tout y parlerait
    À l’âme en secret
Sa douce langue natale.


— Il n’est nul besoin, répondrons-nous, d’admettre les antiques causes finales ni un but défini de l’univers pour admettre la loi de l’évolution et pour considérer, au point de vue de cette loi, la vitalité plus intense et expansive, plus consciente et heureuse, plus féconde pour soi et pour autrui, comme supérieure, comme plus vivante et plus durable. Les amours de Daphnis et de Chloé sont fécondes, tendent à « promouvoir la vie », comme disent les Anglais ; les amours de boudoir sont stériles, tendent à ralentir, à altérer, parfois à détruire la vie. Quant à placer, comme Baudelaire, la « langue natale de l’âme » dans les riches plafonds, les miroirs profonds et la splendeur orientale, c’est une de ces nombreuses absurdités qui remplissent ses vers et en font souvent la seule originalité : tout ce luxe faux et imaginaire, tout ce vain orientalisme n’est pas plus la langue natale de la vie que de l’« âme « : c’est un rêve artificiel et tout littéraire de l’imagination romantique. On peut soutenir que, même au