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l’art au point de vue sociologique.

cer par lui découvrir l’état de conscience qui les a déterminées. Une énumération, une constatation de faits ou d’idées ne signifient rien par elles-mêmes ;. il faut que le poète en donne la clef, c’est-à-dire la signification qu’elles ont revêtue pour lui, signification qu’elles prendront immédiatement par sympathie dans l’esprit des autres. Et voilà pourquoi nous ne saisirons jamais le sens de vers tels que ceux-ci :


La lune plaquait ses teintes de zinc
         Par angles obtus ;
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

Le ciel était gris. La bise pleurait
         Ainsi qu’un basson.
Au loin un matou frileux et discret
Miaulait d’étrange et grêle façon.

Moi, j’allais rêvant du divin Platon
         Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l’œil clignotant des bleus becs de gaz [1].


Voici d’ailleurs quelle sorte de préceptes le chef de l’école adresse au poète symboliste :


De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’impair.
Plus vague et plus soluble dans l’air.
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’indécis au précis se joint…

Car nous voulons la nuance encor,
Pas la couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule liance
Le rêve au rêve et la flûte au cor…


Paul Verlaine semble oublier que la musique, au moyen des tonalités, des rythmes et du mouvement, détermine d’une façon marquée et précise, autant que le pourrait faire une

  1. Paul Verlaine, Poèmes saturniens.