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la littérature des décadents.

Et Shelley, décrivant les fleurs d’un jardin, dira :


Le perce-neige et puis la violette s’élevèrent du sol
Mouillé d’une chaude pluie, et leur souffle était mêlé
À la fraîche odeur de la terre, comme la voix à l’instrument.
.................
Et, semblable à une naïade, le muguet.
Que la jeunesse rend si beau et sa passion tellement pâle que l’on voit la lueur
De ses clochettes tremblantes à travers leurs tentes d’un vert tendre [1].


Il y a même des moments où Shelley dépeindra une chose avec des images que nous sommes forcés d’imaginer ; c’est une sorte de double évocation :


Une Dame, la merveille de son sexe, dont la beauté
Etait rehaussée par un esprit charmant.
Qui, en se développant, avait formé son maintien et ses mouvements
Comme une fleur marine qui se déroule dans l’Océan,
Une Dame soignait le jardin de l’aube jusqu’au soir [2]… »


Nos symbolistes, outrant encore cette poésie de rêve, en sont arrivés à la poésie de l’impression pure et simple. Pourvu qu’une impression soit douce,


De la douceur ! de la douceur ! de la douceur [3] !


pourvu qu’elle soit vague surtout, ils ne lui demanderont rien de plus, ni la raison qui l’amène, ni l’idée qu’elle renferme. Une telle façon d’entendre la poésie est suffisante, peut-être, pour le poète lui-même, en qui ses propres vers éveillent une foule d’idées complémentaires, explicatives surtout ; mais pour le lecteur il n’en est point ainsi. C’est lui supposer véritablement le don de prescience que de lui demander de ressentir une impression poétique alors qu’il ne lui est rien dit de ce qui l’a fait naître ; car, en réahté, les impressions qui nous viennent des choses ont leur cause première en nous-mêmes, et, pour les faire partager à qui que ce soit, il faut commen-

  1. La Sensitive, première partie.
  2. Ibid., seconde partie.
  3. Paul Verlaine.