Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/415

Cette page n’a pas encore été corrigée
355
la littérature des décadents.

n’a point examiné le problème d’un point de vue vraiment scientifique. La question de la décadence littéraire se rattache, selon nous, à la biologie et à la sociologie, car cette décadence particulière n’est que le symptôme d’un déclin, momentané ou définitif, dans la vie totale d’un peuple ou d’une race. Et, comme la vie d’un peuple offre les mêmes phases biologiques que la vie d’un grand individu, on doit retrouver avant tout dans une époque de vraie décadence les traits qui caractérisent la vieillesse. Certes, si la vieillesse est pour l’individu une déchéance physique, elle est loin d’être par cela même une déchéance morale. Au contraire, que de vieillards dont le cœur reste toujours jeune et la vie toujours féconde, comme ces arbres patients et tardifs qui fleurissent jusqu’en automne, à l’époque où les feuilles meurent ! Leur intelligence voit les choses de plus haut et de plus loin, avec plus de détachement ; pour eux, il n’y a plus à mériter le regard que ce qui est vraiment beau et bon :


Orages, passions, taisez-vous dans mon âme ;
Jamais si près de Dieu mon œil n’a pénétré.
Le couchant me regarde avec ses yeux de flamme,
La vaste mer me parle, et je me sens sacré.


L’affaiblissement des forces n’est donc pas la perversion des forces. Mais, ce qui constitue une perversion véritable, c’est la vieillesse qui veut être jeune ou le paraître, c’est l’épuisement qui veut faire œuvre de fécondité. Alors se montrent les vrais vices de la décadence morale et intellectuelle. Dans la littérature, malheureusement, ce n’est pas la belle et sincère vieillesse qu’on rencontre d’ordinaire ; c’est celle qui veut faire la jeune et la coquette. Et c’est pour cela qu’il n’y a pas seulement affaiblissement de l’esprit, mais perversion.

La vieillesse a pour trait saillant, au point de vue biologique, le déclin de l’activité vitale produit par le ralentissement des échanges et de la circulation. Cette diminution de l’activité a elle-même pour premier effet l’impuissance et la stérilité. C’est cette impuissance que nous retrouvons au point de vue intellectuel dans les époques de décadence. Un Silius Italiens, un Stace, un Fronton sont de véritables impuissants,