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la littérature des déséquilibrés.

réflexe disproportionnée avec eu qui la provoque ; on dirait que les centres supérieurs ne sont plus là pour la modérer.

Autres traits essentiels. La plupart des déséquilibrés éprouvent un véritable besoin d’excitants, comme tous les « neurasthéniques ». Il leur faut une certaine vie sociale qui leur est propre, une vie bruyante, querelleuse, sensuelle, passée au milieu de leurs complices. Aussi les plaisirs de l’orgie et ceux de l’amour sensuel (sans marque de pudeur) tendent-ils à dominer leur littérature. Richepin, qui a certainement étudié de près la littérature des fripons et des « gueux », a pastiché avec beaucoup d’art les chansons d’orgie des criminels ; voici un remarquable original de ces chansons. Il s’agit d’un Noël composé par Lacenaire condamné à mort, à l’occasion d’un dîner qu’il lui fut accordé de faire avec son camarade également condamné.


         Noël ! Noël !
         Vive Noël !

À nous, saucisse et poularde !
À nous, liqueur et vin vieux !
Fais la nique à la camarde
Qui nous montre ses gros yeux.
         Noël ! Noël ! etc.

Un bon buveur, c’est l’usage
Boit à l’objet qui lui plait !
Avec moi, frère, en vrai sage.
Bois à la mort, c’est plus gai.
         Noël ! Noël ! etc.

Buvons même à la sagesse,
À la vertu qui soutient ;
Tu peux, sans crainte d’ivresse.
Boire à tous les gens de bien,
         Noël ! Noël ! etc.

Un pauvre homme, d’ordinaire.
Pour mourir a bien du mal.
Nous, nous avons notre affaire
Sans passer par l’hôpital.
         Noël ! Noël ! etc.

Sur les biens d’une autre vie,
Laisse prêcher Massillon ;
Vive la philosophie
Du bon curé de Meudon !
         Noël ! Noël !
         Vive Noël !