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CHAPITRE SIXIÈME


La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Conclusion. Rôle moral et social de l’art.


I. La littérature des déséquilibrés. — II. La littérature des décadents. — III. Rôle moral et social de l’art.


I

LA LITTÉRATURE DES DÉSÉQUILIBRÉS


« Oh ! si l’on pouvait tenir registre des rêves d’un fiévreux, quelles grandes et sublimes choses on verrait sortir quelquefois de son délire ! » Ce vœu de Rousseau se réalise de plus en plus aujourd’hui. L’état de fièvre, pour la conscience, se manifeste par le sentiment d’un malaise vague et d’un manque d’équihbre intérieur, et il y a une sorte de gens dont l’état normal est semblable à la fièvre, les névropathes et les délinquants. Névropathes et délinquants sont entrés dans notre littérature et s’y font une place tous les jours plus grande[1].

Une tendance très caractéristique des déséquilibrés, c’est un sentiment de malaise, de souffrance vague avec des élancements douloureux, qui, chez les esprits propres à la généralisation, peut aller jusqu’au pessimisme. Il existe chez certains déséquilibrés ce qu’on pourrait appeler une sorte de constitutioii douloureuse, de peine irraisonnée, prête à se traduire sous toutes les formes possibles du raisonnement et du senti-

  1. Déjà Zola, par son sujet même, l’hérédité, est amené à ne nous peindre que des détraqués. En effet, pour que l’hérédité soit visible, il faut une exagération des bonnes ou des mauvaises qualités qui seront sa signature, sa griffe sur tous les descendants. Mais cette prédominance des qualités bonnes ou mauvaises dans les individus en fait précisément des détraqués, puisque les sains d’esprit se reconnaissent à l’équilibre de toutes leurs facultés.