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l’art au point de vue sociologique.

Tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort
Que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre.
          Et les hommes déboulèrent ensuite,
          Deux mille furieux,
Des galibots, des haveurs, des raccommodeurs.
Une masse compacte qui roulait d’un bloc ;
          Serrée, confondue
Au point qu’on ne distinguait ni les culottes déteintes,
          Ni les tricots de laine en loques,
Effacés dans la même uniformité terreuse.
          Les yeux brûlaient ;
On voyait seulement les trous des bouches noires.
          Chantant la Marseillaise,
Dont les strophes se perdaient en un mugissement confus.
Accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure.
          Au-dessus des têtes,
Parmi le hérissement des barres de fer,
Une hache passa, portée toute droite ;
          Et cette hache unique.
Qui était comme l’étendard de la bande,
Avait, dans le ciel clair, le profil aigu
          D’un couperet de guillotine.
     À ce moment le soleil se couchait :
Les derniers rayons, d’un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine.
     Alors la route sembla charrier du sang,
Les femmes, les hommes continuaient à galoper.
Saignants comme des bouchers en pleine tuerie.
..............................
C’était la vision rouge de la révolution
Qui les emporterait tous fatalement.
     Par une soirée sanglante de cette fin de siècle,
          Oui, un soir, le peuple lâché, débridé.
          Galoperait ainsi sur les chemins :
     Et il ruissellerait du sang des bourgeois,
          Il promènerait des têtes.
     Il sèmerait l’or des coffres éventrés.
          Les femmes hurleraient.
          Les hommes auraient ces mâchoires de loups.
             Ouvertes pour mordre.
          Oui, ce seraient les mêmes guenilles.
     Le même tonnerre de gros sabots,
          La même cohue effroyable.
     De peau sale, d’haleine empestée.
Balayant le vieux monde, sous leur poussée débordante de barbares [1].


Notre langue contemporaine n’a pris son éclat qu’en passant par la « flamme des poètes ». Mettez au commencement du siècle une littérature de purs savants, pondérée, exacte,

  1. Zola, Germinal, p. 392-393.