Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/383

Cette page n’a pas encore été corrigée
323
le rythme.

Se construire lui-même une étrange monture
Avec toute la vie et toute la nature [1]


Ces vers sont beaux par la profusion et la hardiesse des images, comme par le mouvement qui les entraîne ; cependant, quand on a lu des pages entières de cette forme, où les rimes amènent successivement les visions les plus disparates, on éprouve un sentiment de vertige et de lassitude : on se frotte les yeux comme au sortir d’un rêve.

Un des jeux de rimes les plus justement admirés dans Hugo, c’est la page de la Légende où il dit que, si les Suisses ont pu se vendre à l’Autriche, ils n’ont pu lui vendre la Suisse. Tout vient se suspendre à quelques rimes : nuage, neige, mâchoires de la Dent de Morcle, piton de Zoug, citadelles, étoiles, Jungfrau. Le poète a cherché les mots rudes et sauvages, les noms de montagnes âpres et pittoresques ; puis il a trouvé moyen de les relier par des images parfois sublimes, toujours inattendues et grandioses.


L’homme s’est vendu. Soit, a-t-on dans le louage
Compris le lac, le bois, la ronce, le nuage ?
.................
La Suisse est toujours là, libre. Prend-on au piège
Le précipice, l’ombre et la bise et la neige ?
Signe-t-on des marchés dans lesquels il soit dit
Que l’Orteler s’enrôle et devient un bandit ?
Quel poing cyclopéen, dites, ô roches noires.
Pourra briser la Dent de Morcle eu vos mâchoires ?


Le difficile était d’amener le piton de Zoug, qui rime uniquement avec joug. Pour Hugo, ce n’est qu’un jeu :


Quel assembleur de bœufs pourra former un joug
Qui du pic de Glaris aille au piton de Zoug ?


Cet assembleur de bœufs ne serait guère plus homérique que notre assembleur de rimes. Voyez plutôt Timage qui suit, une des plus splendides de Victor Hugo :

  1. Le Satyre.