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l’art au point de vue sociologique.

Oui, le mal éternel est dans sa plénitude !
L’air du siècle est mauvais aux esprits ulcérés.
Salut, oubli du monde et de la multitude.
Reprends-nous, ô nature, entre tes bras sacrés !…


Et ainsi de suite, pendant des pages, pour le plus grand bonheur de ceux qui ne comprennent pas qu’un poète puisse voler sans la consonne d’appui. Car, que vous l’ayez ou non remarquée, elle ne manque jamais, cette consonne ; ce qui manque à ces beaux vers, c’est la variété du rythme, c’est la nouveauté des images, c’est l’inspiration sans effort, c’est l’accent, c’est le nescio quid. Tant il est vrai que la question de la rime plus ou moins riche n’est pas la première en importance. Ces strophes qui se suivent lentes et régulières font songer à des pierres de taille parfaitement carrées, également pesantes, qu’on roulerait, et il semble qu’un peu de l’effort nécessaire à mouvoir de telles masses retombe en fatigue sur nos épaules. C’est avec un soulagement véritable qu’on voit venir la strophe : « Où sont nos lyres d*or ? » qui ramène enfin, — et pour quatre vers seulement, — la légèreté de vol habituelle au poète.

Dans les plus belles pages d’Hugo il y a bien des passages gâtés par la superstition de la rime riche ; voyez même le Satyre :


Oui, l’heure énorme vient, qui fera tout renaître,
Vaincra tout, changera le granit en aimant.
Fera pencher l’épaule en morne escarpement.
Et rendra l’impossible aux hommes praticable.
Avec ce qui l’opprime, avec ce qui l’accable,
Le genre humain se va forger sou point d’appui ;
Je regarde le gland qu’on appelle aujourd’hui.
J’y vois le chêne ; un feu vit sous la cendre élciute.
Misérable homme, fait pour la révolte sainte,
Ramperas-tu toujours parce que lu rampas ?
Qui sait si quelque jour on ne te verra pas,
Fier, suprême, atteler les forces de l’abime.
Et dérobant l’éclair à l’inconnu sublime.
Lier ce char d’un autre à des chevaux à toi ?
Oui, peut-être on verra l’homme devenir loi,
Terrasser l’élément sous lui, saisir et tordre
Cette anarchie au point d’en faire jaillir l’ordre,
Le saint ordre de paix ; d’amour et d’unité.
Dompter tout ce qui l’a jadis persécuté,