Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/378

Cette page n’a pas encore été corrigée
318
l’art au point de vue sociologique.

Dans la dernière strophe, les vers ont le vol léger de la fée ; tous les mots sont ailés, habile, agile courrière ; et le triomphe aérien auquel aboutit cette strophe nous laisse en présence d’une vision lumineuse au plus haut des espaces :


Qui mènes le char des vers
        Dans les airs.
Par deux sillons de lumière !


Les images et le rythme se joignent donc ici à la rime pour donner au vers tout son prix.

Le vrai rôle de la rime, selon nous, doit être de produire, là où il est nécessaire, une subite évocation d’images et d’idées, comme nous en trouvons des exemples dans cette même pièce de Sainte-Beuve :


Rime, tranchant aviron.
        Éperon
Qui fends la vague écumante ;
Frein d’or, aiguillon d’acier.
        Du coursier
À la crinière fumante.

Agrafe autour des seins nus
        De Vénus
Pressant l’écharpe divine.
Ou serrant le baudrier
        Du guerrier
Contre sa forte poitrine.


C’est toute la mythologie passant sous nos yeux en métamorphoses qui se précipitent et en apothéoses qui flamboient.

Mais la poésie ne peut pas et ne doit pas être toujours flamboyante ; révocation ne peut pas se faire toujours par des mots-images ou des mots-symphonies, ramenés à des intervalles réguliers. Il faut que le poète ait l’entière liberté, après avoir fait éclater son vers, de l’assourdir et de l’adoucir, après avoir frappé les yeux ou les oreilles, de parler au cœur ou même à la pensée. L’évocation, d’ailleurs, n’est pas le privilège de la rime ; elle appartient aussi aux idées, elle appartient surtout au sentiment, à tout ce qui renferme en soi un monde, prêt à reparaître dès qu’on y projette un rayon.