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l’art au point de vue sociologique.

tage, — ces mots voilés, par tout ce qu’ils laissent entrevoir d’amour dans le lointain du passé, ont plus de poésie qu’une description éclatante et enflammée. Pour peindre Marathon, Byron se contente de dire :


Les montagnes regardent vers Marathon,
Et Marathon regarde vers la mer.

The mountains look on Marathon,
And Marathon looks on the sea.


Vous voyez aussitôt surgir, dans ses grandes lignes simples, tout le paysage ; et en même temps surgissent tous les souvenirs héroïques qui ont la même simplicité dans la même grandeur.

Le symbolisme est un caractère essentiel de la vraie poésie : ce qui ne signifie et ne représente pas autre chose que soimême n’est pas vraiment poétique. S’il y aune sorte d’égoïsme des formes qui fait qu’elles vous disent seulement moi, sans vous faire rien penser au delà d’elles-mêmes, il y a aussi une sorte de désintéressement et de libéralité des formes qui fait qu’elles vous parlent d’autre chose qu’elles-mêmes et, par delà leurs contours, vous ouvrent des horizons sans limites. C’est alors seulement qu’elles sont poétiques. Alors aussi elles ne sont plus purement matérielles : elles prennent un sens intellectuel, moral et même social ; en un mot, elles deviennent des symboles. Pour leur donner ce caractère, il n’est besoin dintroduire dans le style ni rallégorie précise des anciens, ni le vague de certains modernes qui croient qu’il suffit de tout obscurcir pour tout poétiser, ou de supprimer les idées pour avoir dos symboles. C’est par la profondeur de la pensée même et de l’émotion qu’on donne au style l’expression symbolique, c’est-à-dire qu’on lui fait suggérer plus qu’il ne dit et qu’il ne peut dire, plus que vous ne pouvez dire vous-même.

Pourquoi la poésie du dix-septième siècle, en somme, est-elle si peu poétique ? — C’est qu’elle est trop logique et trop géométrique ; la « raison » y domine tellement, y répand une clarté si uniforme, si extérieure, si superficielle, qu’il n’y a