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le style.

ces parties. Dans l’être vivant, an contraire, ehaqne (irganc est formé d’antres organes qui, comme dit Leibniz, s’enveloppent les uns les autres et vont à l’infini. » Chaque être vivant est une société de vivants. D’où il suit que la vie est pour nous un infini numérique où se perd la pensée. « D’autre part, les associations et relations d’idées sans nombre que l’objet vivant éveille en nous, ou qu’il nous fait entrevoir confusément sous l’idée actuellement dominante, sont comme l’image intellectuelle de sa propre infinité. Comparez un œil de verre et un œil vivant : derrière le premier, il n’y a rien ; le second est pour la pensée une ouverture sur l’abîme sans fond d’une ùme humaine… Toute vraie beauté est, soit par elle-même, soit par ce que nous mettons de nous en elle, une infinitude sentie ou pressentie [1]. »

Cette théorie de l’infinité évoquée par les formes mêmes du beau nous semble un correctif nécessaire de la théorie mécanique de Spencer, car, au lieu de voir surtout dans le style une économie à réaliser, elle y voit une prodigalité à introduire. Le style est poétique quand il est évocateur d’idées et de sentiments ; la poésie est une magie qui, en un instant, et derrière un seul mot, peut faire apparaître un monde. On ne doit donc économiser l’attention de l’auditeur que pour lui faire dépenser le plus possible sa sensibilité en faisant vibrer son âme entière. Ainsi, dans la rencontre d’Énée et de Didon aux enfers,


                    … Agnovitque per umbram
Obscuram, qualem primo qui surgere mense
Aut videt aut vidisse putat per nubila lunam,



cette vision incertaine de la lune cachée à travers les nuages, comparée à la vision de l’amante dans l’ombre épaisse des enfers, est poétique partout ce qu’elle évoque et de souvenirs nocturnes et de souvenirs d’amours passées. Dans l’enfer de Dante, quand l’amant de Françoise montre le livre échappant à leurs mains et ajoute : Ce jour-là nous ne lûmes pas davan-

  1. Alfred Fouillée, Critique des systèmes de morale contemporains.