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l’art au point de vue sociologique.


J’ai fermé la porte au doute,
Bouché mon cœur et mes yeux.
Je suis triste et n’y vois goutte.
       Tout est pour le mieux. "

À mes désirs de poète
J’ai dit d’éternels adieux.
J’ai du ventre et je suis bête.
       Tout est pour le mieux.

J’ai saisi mon dernier rêve.
Entre mes poings furieux,
Voilà le pauvret qui crève.
       Tout est pour le mieux.

J’ai coupé l’aile et la patte
Aux amours. Mes oiseaux bleus
Sont manchots et culs-de-jatte.
       Tout est pour le mieux.

Dans le trou, pensée allière,
Maintenant je suis joyeux.
Joyeux comme un cimetière.
       Tout est pour le mieux.

Dans le temps et dans l’espace
Je ne suis, insoucieux,
Qu’un paquet de chair qui passe.
       Tout est pour le mieux.

Que m’importe le mystère
De l’être épars dans les deux ?
J’ai le cerveau plein de terre.
       Tout est pour le mieux.


Non, tout n’est pas pour le mieux dans ce monde, mais tout n’y est pas non plus pour le pis, tout n’y est pas méprisable, et le « paquet de chair qui passe » n’en a pas moins pensé, senti, aimé.

En tant que phénomène « sociologique », le succès de ces vers funambulesques, présentés comme une « philosophie » par ceux qui trouvent que Victor Hugo n’a pas d’idées, serait inquiétant pour l’avenir de notre pays, si les Français n’étaient aussi prompts à oublier ce qu’ils ont applaudi que les enfants à oublier la parade de la foire devant laquelle ils ont battu des mains. La poésie, à notre époque, cherche sa voie, et, d’instinct, elle la cherche dans la direction des idées