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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

ait les conséquences immorales et antisociales que les Veuillot ou les Richepin veulent en tirer. L’idéal ne perd pas sa vérité et sa beauté parce qu’on cesse de lui accorder une existence en dehors du cœur de l’homme et de le personnifier dans un homme agrandi. La nature ne cesse pas d’être Lelle parce qu’elle n"a point été créée en six jours. La raison ne cesse pas d’avoir raison parce qu’elle a attendu l’homme pour prendre conscience d’elle-même. La famille et la société humaine ne cessent pas d’être saintes parce qu’on a montré dans l’amour paternel, dans l’amour filial, dans les sympathies de l’homme pour l’homme le produit d’une longue évolution qui, de l’égoïsme bestial, a fait sortir un altruisme déjà en germe jusque chez la bête. Aux yeux mêmes de la science, il y a de la vérité, et non pas seulement de l’illusion, dans l’amour de la mère pour son enfant ou de l’enfant pour sa mère : toutes les découvertes sur les spermatozoaires n’y feront rien. Quelle que soient l’origine de la conscience et de la sensibilité, la souffrance est toujours la souffrance, la joie est toujours la joie, l’amour est toujours l’amour. On a mis en parallèle la rhétorique de M. Richepin et la rhétorique du baron d’Holbach. Certes, l’invocation qui termine le Système de la nature a vieilli et nous fait sourire_, mais elle est en somme moins fausse philosophiquement que tous ces blasphèmes qui vieilliront plus vite encore et feront bientôt hausser les épaules à nos descendants. « Vertu, raison, vérité, disait d’Holbach, soyez à jamais nos seules divinités… Écartez pour toujours et ces fantômes hideux et ces chimères séduisantes qui ne servent qu’à nous égarer. Inspirez du courage à l’être inteUigent, donnez-lui de l’énergie ; qu’il ose enfin s’aimer, s’estimer, sentir sa dignité ; qu’il ose s’affranchir, qu’il soit heureux et libre ; qu’il ne soit jamais l’esclave que de vos lois ; qu’il perfectionne son sort ; qu’il chérisse ses semblables… Qu’il apprenne à se soumettre à la nécessité ; conduisez-le sans alarmes au terme de tous les êtres ; apprenez-lui qu’il n’est fait ni pour l’éviter ni pour le craindre. » Telle était la « prière de l’athée » au dix-huitième siècle. M. Richepin nous a donné la sienne, qui est un des meilleurs morceaux de son livre :