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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.


Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
            Ce qu’ils ensevelissent. »


Il se dit seulement « qu’à cette heure, en ce lieu, un jour, » il fut aimé, et il « enfouit ce trésor dans son âme », et avec ce trésor, la véritable immortalité. Mme  Ackermann, reprenant le même sujet, mais avec beaucoup moins de poésie, nous montre à son tour le contraste de la réalité qui passe avec les aspirations infinies de l’amour :


Regardez-les passer, ces couples éphémères !
Dans les bras l’un de l’autre enlacés un moment,
Tous, avant de mêler à jamais leur poussière,
         Font le même serment ;

« Toujours ! » un mot hardi que les cieux qui vieillissent
Avec étonnement entendent prononcer,
Et qu’osent répéter des lèvres qui pâlissent
         Et qui vont se glacer.


Les strophes qui suivent nous montrent dans les transports de l’amour ce que Schopenhauer appelait la « méditation du génie de l’espèce » pour conserver l’humanité :


Quand, pressant sur ce cœur qui va bientôt s’éteindre
Un autre objet souffrant, forme vaine ici-bas,
Il vous semble, mortels, que vous allez étreindre
         L’infini dans vos bras,

Ces délires sacrés, ces désirs sans mesure
Déchaînés dans vos flancs comme d’ardents essaims,
Ces transports, c’est déjà l’humanité future
         Qui s’agite en vos seins.

Elle se dissoudra, cette argile légère
Qu’ont émue un instant la joie et la douleur ;
Les vents vont disperser cette noble poussière
         Qui fut jadis un cœur.


Mieux vaut pour les amants la mort même qu’une éternité qui pourrait être une séparation, un monde placé entre eux :


C’est assez d’un tombeau ; je ne veux pas d’un monde
         Se dressant entre nous.


Au lieu d’un espoir vain, qui serait peut-être une faiblesse