Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/316

Cette page n’a pas encore été corrigée
256
l’art au point de vue sociologique.

ne semble lui avoir été imposée que pour limiter eu elle ce qui seul peut l’être, la forme, non le fond. Quant à la définition scientifique, qui, elle, peut tenir tout entière dans le» douze syllabes d’un alexandrin, elle est un véritable non-sens en poésie : à quoi bon donner une règle à ce qui est la règle même ?

Les grandes idées et les beaux vers abondent ; et cependant, même dans les pages les plus vantées, on sent trop le travail patient. Que l’on compare à Ibo les vers qui suivent et qui ont été cités souvent parmi les plus remarquables, on comprendra que la « méditation poétique », malgré ses hautes qualités, demeure toujours inférieure à l’inspiration prophétique.


La nature nous dit : « Je suis la raison même,
Et je ferme l’oreille aux souhaits insensés ;
L’Univers, sachez-le, qu’on l’exècre ou qu’on l’aime,
Cache un accord profond des Destins balancés.

» Il poursuit une fin que son passé renferme,
Qui recule toujours sans lui jamais faillir ;
N’ayant pas d’origine et n’ayant pas de terme,
Il n’a pas été jeune et ne peut plus vieillir.

» Il s’accomplit tout seul, artiste, œuvre et modèle ;
Ni petit, ni mauvais, il n’est ni grand, ni bon.
Car sa taille n’a pas de mesure hors d’elle,
Et sa nécessité ne comporte aucun don…

» Je n’accepte de toi ni voeux ni sacririces,
Homme, n’insulte pas mes lois d’une oraison.
N’attends de mes décrets ni faveurs, ni caprices.
Place ta confiance en ma seule raison ! »…

Oui, nature, ici-bas mon appui, mon asile.
C’est ta fixe raison qui met tout en son lieu ;
J’y crois, et nul croyant plus ferme et plus docile
Ne s’étendit jamais sous le char de son dieu…

Ignorant tes motifs, nous jugeons par les nôtres :
Qui nous épargne est juste, et nous nuit, criminel.
Pour toi qui fais servir chaque être à tous les autres.
Rien n’estbon, ni mauvais, tout est rationnel…

Ne mesurant jamais sur ma fortune infime
Ni le bien, ni le mal, dans mon étroit sentier
J’irai calme, et je voue, atome dans l’abime.
Mon humble part de force à ton chef-d’œuvre entier.


Nous préférons, dans le Bonheur ce tableau enthousiaste