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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

II. — Hugo n’a rien du scepticisme politique de Keyle, pas plus que de son indépendance à l’égard de toute foi religieuse. Il n’a pas non plus le sentiment aristocratique et un peu dédaigneux de Balzac. En politique comme en métaphysique, c’est un croyant, un enthousiaste, ainsi que les Lamennais, les Michelet, les Carlyle, les Parker, les Emerson. Il est à remarquer que les écrivains sceptiques, comme Voltaire, Stendhal, Mérimée, au style froid, clair, sarcastique, vieillissent moins que les autres. Celui qui affirme un peu trop est sûr que sa foi sera trouvée naïve par ceux qui viendront après lui ; sur certains points, inévitablement, il les choquera ou les fera sourire. Celui qui raille, au contraire, sera compris de tous ; en revanche, il sera peu aimé, car il n’aura fait naître aucune émotion profonde : s’il plaît à l’esprit, il le paiera en devenant incapable de prendre les cœurs. Hugo eut une foi profonde dans la réalité du progrès social :


Quoi ! ce n’est pas réel parce que c’est lointain !
Nous l’aurons. Nous l’avons ! car c’est déjà l’avoir
C’est déjà le tenir presque, que de le voir [1].


On se rappelle encore les vers d’Ibo :

 
Déjà l’amour, dans l’ère obscure
        Qui va finir
Dessine la vague figure
        De l’avenir.


Le symbole devenu classique du « semeur », s’agrandissant, finit par embrasser l’humanité et le monde :


Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin.
Rouvre sa main et recommence ;
Et je médite, obscur témoin,
Pendant que, déployant ses voiles.
L’ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu’aux étoiles
Le geste auguste du semeur.


Hugo eut une confiance excessive et enfantine dans la force du peuple pour réaliser le progrès social ; il eut pour le peuple,

  1. Le Livre lyrique.