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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.


V. Idées morales et sociales.


I. — Pour apprécier, par l’exemple d’un grand poète, l’influence morale et sociale que peut exercer la poésie, il nous reste à marquer en quelques traits la façon dont Hugo lui-même comprit sa « mission «. Et d’abord, on peut dire du cœur du poète ce que Mlle Baptistine disait de la maison de Mgr Myriel, ouverte à tous : « Le diable peut y passer, mais le bon Dieu l’habite. » On serait un peu surpris de voir appliquer à l’auteur d’Othello et de Macbeth l’épithète de bon ; de même on ne peut dire que Gœthe, avec son intelligence scientifique et sereine, soit bon, ni Balzac, avec sa psychologie un peu sombre et prévenue : ce sont des observateurs, des artistes qui représentent avec exactitude, quelquefois avec dégoût, la comédie humaine ; ils savent exciter la pitié pour tel ou tel personnage donné, mais ce n’est point ce sentiment large et paternel, cette pitié profonde pour toute misère humaine qui finit par dominer l’œuvre de Victor Hugo. Cette bonté de cœur ne s’est point fait jour tout de suite ; le tempérament premier de Victor Hugo était violent et passionné ; ses toutes premières œuvres ne peignent que lutte, coups d’épée, chocs de toutes sortes, y compris les chocs des rimes et des couleurs. Dans les Orientales, il se montre généreux, — la poésie ne va pas sans la générosité du cœur ; — mais c’est une générosité batailleuse et un peu farouche ; la violence reste le caractère dominant du poète, puisqu’il aura assez de colère pour remplir l’interminable livre des Châtiments. Ce n’est que dans l’exil, la solitude, le malheur (il perdit sa fille) que se dégagent cette bonté qui s’étend à toute chose, cette douceur où tout s’éteint :


C’est une bienveillance universelle et douce,
Qui dore comme une aube et d’avance attendrit
Le vers qu’à moitié fait j’emporte en mon esprit,
Pour l’achever aux champs avec l’odeur des plaines,
Et l’ombre du nuage et le bruit des fontaines [1] !

  1. Encore des vers qui prouvent que Victor Hugo n’a pas eu le sentiment de la
    nature ! Toute la campagne en deux vers !