Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/292

Cette page n’a pas encore été corrigée
232
l’art au point de vue sociologique.

a consacrées à la mémoire de sa fille, on sent, ajoute M. Brunetière, l’arrangement et l’apprêt :


Maintenant que je puis, assis au bord âes ondes,
Emu par ce tranquUle et profond horizon,
Examiner en moi les vérités profondes,
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon. »


Quel apprêt y a-t-il dans l’expression de cette vérité que, tout d’abord, une grande douleur ne peut rien voir en dehors d’elle, rien penser de ce qui n’est pas elle, rien regarder de la nature, de cette nature souriante qui lui semble une ironie ? Quand la douleur se calme, alors, et alors seulement on peut examiner en soi « les vérités profondes », on peut regarder hors de soi « les fleurs du gazon » ; — et cela, sans songer à la tombe, elle aussi recouverte de fleurs, sans détourner avec horreur ses yeux de ce printemps lumineux du dehors qui fait contraste avec l’hiver du dedans.

La diversité de jugements portés sur Hugo tient en grande partie à la diversité et à la complexité de l’œuvre du poète. Pour comprendre Musset, il suffit presque d’avoir aimé ; pour comprendre Lamartine, il suffit, bien souvent, d’avoir rêvé au clair de lune, tantôt avec douceur, tantôt avec tristesse. C’est une chose autrement complexe que de pénétrer le génie d’Hugo. Pour saisir sa richesse de coloris, il faudra pouvoir sentir Chateaubriand, Flaubert ; pour comprendre la sonorité de son langage, il faudra apprécier les artistes de mots comme ce même Flaubert, Théophile Gautier, nos Parnassiens ; seulement, sous les mots, il y a très souvent des idées élevées et profondes, tandis que sous les vers ciselés des Parnassiens, il n’v a rien. Pour saisir enfin toute la force de certaines formules, ce n’est pas trop d’être quelque peu philosophe. Il y a sans doute bien des artifices de composition dans ses romans et ses drames ; pourtant, dans les scènes particulières, dans les épisodes détachés de l’ensemble factice, il possède un sens du réel et arrive à une puissance lyrique’ dans la reproduction exacte de la vie que Zola, dans ses bonnes pages, a seul atteinte. Les admirateurs de Zola pourraient même, dans ces moments-là, comprendre Victor Hugo, si, à côté du réaliste, il n’y avait en lui un idéaliste aussi ailé que l’Ariel de Renan. D’autre part, il faudrait des écrivains accoutumés à l’analyse