Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
l’art au point de vue sociologique.

visible, un monde invisible et meilleur ; et non seulement elle nous le fait concevoir, mais elle le fait germer en nous et éclore. L’idéal rend « les esprits fermes », parce qu’il leur montre un but et leur donne une loi ; il rend « les cœurs grands » parce qu’il leur communique la force de l’espérance. Nous doutons qu’une définition métaphysique valût cette condensation poétique d’idées et de sentiments ? De ce monde où l’on souffre le poète relève nos yeux vers le ciel, et il nous y montre la Foi, ceinte d’un cercle d’étoiles. Puis, c’est le Droit, défini philosophiquement en trois mots : « bien de tous ; » enfin la dernière divinité, celle qui se voile, celle qui est si loin de régner parmi les hommes, surtout à l’époque où le poète écrivait ses Contemplations, — c’est la Liberté. Mais en vain l’étoile se dérobe derrière le nuage, le poète ira vers elle :


Vous avez beau, sans fin, sans borne,
         Lueurs de Dieu,
Habiter la profondeur morne
        Du gouffre bleu,

Âme à l’abîme habituée
         Dès le berceau.
Je n’ai pas peur de la nuée,
         Je suis oiseau.

Je suis oiseau comme cet être
         Qu’Amos rêvait.
Que saint Marc voyait apparaître
         À son chevet,

Qui mêlait sur sa tête fière
         Dans les rayons,
L’aile de l’aigle à la crinière
         Des grands lions.


Cet oiseau symbolique ne désigne plus seulement la pensée individuelle du poète ; il représente la pensée humaine, ou plutôt l’esprit, qui fait de tout homme un voyant capable de deviner l’énigme et de dire : la vraie loi, la vraie clarté du monde, c’est la justice.


Les lois de nos destins sur terre.
       Dieu les écrit ;
Et si ces lois sont le mystère,
       Je suis l’esprit.