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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.



IV. — Religion.


I. — Dans son poème intitulé Religions et religion, Hugo expose d’abord éloquemment, les objections faites à Dieu par la « philosophie de la négation » :


— « Le monde, quel qu’il soit, c’est ce qui dans l’abîme
N’a pas dû commencer et ne doit pas finir.
Quelle prétention as-tu d’appartenir
À l’unité suprême et d’en faire partie,
Toi, fuite ! toi monade en naissant engloutie,
Qui jettes sur le gouffre un regard insensé,
Et qui meurs quand le cri de ta vie est poussé !
.................
Tu veux un Dieu, toi l’homme, afin d’en être !
Si tu veux l’infini, c’est pour y reparaître.
L’homme éternel, voilà ce que l’homme comprend.

Dieu n’est pas ; nie et dors. Tu n’es pas responsable ;
Ris de l’inaccessible, étant l’insaisissable[1]. »


Puis Hugo répond en énumérant les conséquences morales qu’on peut tirer, à l’en croire, du système matérialiste :


Pour tout dogme : « Il n’est point de vertus ni de vices ;
» Sois tigre, si tu peux. Pourvu que tu jouisses,
» Vis n’importe comment pour finir n’importe où ; — »
.................
Qu’il ne soit nulle part d’idéal, ni de loi ;
Que tout soit sans réponse et demande pourquoi[2] !
.................


Hugo préférerait la religion traditionnelle elle-même à tout système qui bannit ainsi du monde l’élément moral. Mais ce ne sont pas les religions, selon lui, ni leurs prêtres qu’il faut consulter ; car on ne peut donner une forme à l’absolu. Toute religion est « un avortement du rêve humain » devant l’être et « devant le firmament ». Le dogme, quel qu’il soit, juif ou grec, rapetisse à sa taille le vrai et l’idéal, la lumière et l’azur : « il coupe l’absolu sur sa brièveté. »


Tous les cultes ne sont, à Memphis comme à Rome,
Que des réductions de l’éternel sur l’homme[3].

  1. Religions et religion (Rien).
  2. Ibid. (Rien).
  3. Ibid. (Philosophie).