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l’art au point de vue sociologique.

Il a ses actions pour juges.
Il a ses actions pour juges. Il suffit
Qu’il soit méchant ou bon ; tout est dit. Ce qu’on fit,
Crime est notre geôlier, ou vertu nous délivre.
L’être ouvre à son insu, de lui-même, le livre ;
Sa conscience calme y marque avec le doigt
Ce que l’ombre lui garde ou ce que Dieu lui doit.
On agit, et l’on gagne ou l’on perd à mesure.
On peut être étincelle ou bien éclaboussure.
.................
On s’alourdit, immonde, au poids croissant du mal ;
Dans la vie infinie on monte et l’on s’élance.
Ou l’on tombe : et tout être est sa propre balance.
Dieu ne nous juge point. Vivant tous à la fois,
Nous pensons, et chacun descend selon son poids.
Toute faute qu’on fait est un cachot qu’on s’ouvre.
Les mauvais, ignorant quel mystère les couvre,
Les êtres de fureur, de sang, de trahison,
Avec leurs actions bâlissent leur prison ;
.................
L’homme marche sans voir ce qu’il fait dansl’abime.
L’assassin pâlirait s’il voyait sa victime :
C’est lui ! ..........


Ces vers sont, à notre avis, le modèle de la poésie philosophique. Exacte en ses formules et cependant colorée, ce n’est plus une traduction, c’est une incarnation d’idées, où la vie vient du dedans pour éclater au dehors.

Le dernier mot d’Hugo sur la destinée est celui de Platon dans la République : Θεὸς ἀναίτιος  (Theos anaitios).


         Grand Dieu ! nul homme au monde
N’a droit, en choisissant sa route, en y marchant,
De dire que c’est toi qui l’as rendu méchant ;
Car le méchant, Seigneur, ne t’est pas nécessaire[1].

  1. Les Contemplations (La vie aux champs).