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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

Comme Lamartine dans Jocelyn, Hugo raconte à son tour, en symboles et en mythes, la destinée humaine, — ou plutôt la destinée universelle. Sa doctrine est empreinte de ce pythagorisme qui a laissé tant de traces dans sa poésie. Il appelle l’homme quelque part : tête auguste du nombre ; et nous avons vu que les images tirées du nombre sont chez lui fréquentes. En outre, il emprunte à Pythagore et à Platon leurs idées orientales. Ce que dit la bouche d’ombre est un mythe analogue à celui d’Er l’Arménien dans la République. La théorie hindoue de la sanction inhérente aux actions mêmes y est admirablement exprimée, et dans toute sa profondeur. Déjà Lamartine avait représenté l’âme montant et descendant par le poids de sa nature ; Hugo ne prend plus cette théorie dans le sens chrétien, mais dans le sens indien. Le monde entier est le lieu de la sanction, le monde-châtiment, domaine de la chute des âmes, où chaque être occupe la place que lui assigne son propre poids, plus haut ou plus bas, comme un corps plongé dans un fluide monte ou descend selon qu’il renferme plus de matière. Cette grande idée métaphysique et morale prend même chez Hugo la forme mythique qu’elle avait prise dans l’Inde : celle de la renaissance et de la métempsycose. Comme il s’agit d’un poète, nous ne pouvons savoir avec précision si cette idée était pour lui un simple symbole. Cependant, ce caractère symbolique peut s’inférer de la doctrine soutenue par Hugo que tout vit, même les choses, et que les animaux sont les « ombres vivantes » de nos vertus et de nos vices. Selon Hugo un mystère réside, muet, dans ce que nous appelons la chose, la chose matérielle, sans vie apparente, où « repose l’être insondable « :


Tout vit-il ? quelque chose, ô nuit, est-ce quelqu’un[1] ?

Une fleur souffre-t-elle, un rocher pense-t-il ?
.................
Vivants, distinguons-nous une chose d’un être[2] ?


Un autre mystère est dans l’animal :


Mettre un pied sur un ver est une question ;
Ce ver ne tient-il pas à Dieu[3] ?

  1. L’Âne, p. 143.
  2. L’Année terrible.
  3. L’Âne, p. 140.